- #1 – février 2022
Le Klaxon !
Marianne, ne vois-tu rien venir ? Cette feuille vous tiendra régulièrement informés de mes observations, rencontres, actualités autour de la marchandisation et de la financiarisation de l’action associative via les investissements à impact social. N’hésitez pas à me signaler vos infos et à enrichir cette lettre qui n’attend qu’à « changer d’échelle » !
La finance et les contrats à impact font leur livre blanc
Ce 9 février, le livre blanc pour promouvoir la finance à impact social est sorti, présenté par Fair (ex Finasol et IIlab fusionnés) en partenariat avec la Maif. Le paysage est posé par la journaliste – aussi entrepreneuse sociale - qui anime le débat :
« Aujourd’hui, la finance solidaire marque une hausse de 140% d’encours en 5 ans, représente plus d’un million de souscripteurs, la demande en finance verte, finance sociale doit être entendue ».
Constat confirmé par Frédéric Tiberghien, président de Fair : « Nous sommes sur un segment à extrêmement forte croissance ». La Banque de France rappelle que l’ESS est « le secteur qui croie le plus vite en terme d’octroi de crédit, plus de 7% par an depuis 2007 alors que la moyenne nationale est à 4,2 % et pour les PME à 5,4% ».
Ils présentent aujourd’hui un nouveau livre blanc pour peser sur les pouvoirs publics pour « pouvoir croitre encore plus dans les prochaines années ». Ils demandent un « coup de pouce » pour « aller plus vite » et répondre aux besoins sans plus tarder. Il assure vouloir faire de l’épargnant « quelqu’un qui à le souci de la performance de son épargne, c’est naturel, mais aussi qui a une préoccupation citoyenne : je veux que mon épargne serve le bien commun, je veux que mon épargne aille dans le sens de la finance à impact social ».
Ils avancent 10 propositions, notamment :
La demande de lever « des dispositions réglementaires qui empêchent les investisseurs institutionnels à financer les entreprises à forte utilité sociale ».
Créer de meilleures garanties publiques qui couvriraient les premières pertes pour garantir les risques tant au niveau français qu’européen. Eviter en clair tous risques pour les investisseurs.
Créer un fonds de conversion à l’économie sociale et solidaire pour que des entreprises privées lucratives puissent devenir des entreprises de l’ESS.
Mettre en place une nouvelle comptabilité sociale et environnementale
Déployer les contrats à impact (on ne dit plus contrats à impact social) « pour favoriser l’innovation sociale ».
Sur ce dernier point, ils reconnaissent avoir un problème sur le manque d’instruments de mesures, notamment sur le volet social, « ils ont du mal à aboutir », explique Hélène N’Diaye, DG de la Maif. Un travail est en train de se faire au niveau européen qui devrait aboutir en juin prochain dans la lignée de la taxonomie européenne déjà mise en place depuis 2020 sur le volet écologie pour les investissements « verts ». « Ce travail se heurte à des considérations politiques, par exemple, est-ce que le nucléaire est écologique ou pas ? », ajoute Hélène N’Diaye. La taxonomie verte a finalement décidé que oui…
Frédéric Tibergheim assure une nouvelle fois que ces CI ne sont pas là pour se substituer aux subventions classiques pour les associations mais pour « prendre des risques, tester de nouvelles méthodes pour régler un certains nombres de problématiques sociales ». Il souhaite impliquer d’avantage les collectivités territoriales mais se réjouit du fort appui du gouvernement actuel. « La France est désormais le troisième pays au monde qui utilise le plus ces contrats », en terme de volume d’investissement, selon le livre blanc, actuellement 21 millions sont investis dans les 11 contrats signés et 45 millions iront dans les 14 CIS en cours de structuration.
Son « rêve » : « C’est que cela devienne un jour une classe d’actifs pour des investisseurs institutionnels pour mieux financer l’innovation sociale ». Ensuite, une fois testée, il faut la diffuser, changer d’échelle, et donc « il faut créer un fonds de paiement aux résultats co-financé avec les collectivités territoriales pour pouvoir les diffuser l’innovation une fois qu’elle a fait ses preuves ».
Parce que l’un des souci, c’est la question du devenir des projets une fois le temps du contrat à impact écoulé. C’est ce qu’explique le responsable de l’Adie, porteur du premier CIS qui arrive à terme en 2022. Il assure que le projet a réussi à insérer durablement 300 personnes, fait « la preuve qu’il marche » mais maintenant il faut le pérenniser et le déployer donc trouver des subventions… retour à la case départ. Car le futur des CIS, une fois que les investisseurs ont récupéré leurs billes… et leurs intérêts, ce sont les subventions. Beau final !
Petit bonus : je suis allée discuter avec le Président de Fair pour lui demander pourquoi les taux de retour sur investissement des CIS ne sont jamais publics, je vous livre l’échange brut de décoffrage blancs inclus : « Cela dépend des indicateurs, il y a plusieurs niveaux d’indicateurs mais demandez à l’Adie mais à mon avis son taux de rendement n’est pas énorme, énorme… » Mais pourquoi ce n’est pas public ? « Je n’en sais rien, comme c’est un contrat privé… mais à mon avis il n’y a pas de secret… » Ah ben si, ils sont secrets, nous n’arrivons jamais à les obtenir. « Oui, mais à mon avis ils sont modérés, c’est entre 4 et 6 %, demander à l’Adie, il vous le dira… » Et hop, il est parti.
Petit bonus deux : discussion avec la DG de la Maif, Hélène N’diaye :
Questionnée par un autre journaliste sur Orpéa, elle explique que la Maif a retiré toutes ses billes du groupe et qu’ « ils sont tombés de leur chaise ». Je l’interpelle sur le fait que la marchandisation de ce type de secteur amène à ces dérives et que ce n’est pas nouveau. Elle répond : « Oui c’est vrai… »
Du coup ils ont aussi rapidement sorti aussi tous leurs actifs de Korian, « on est traumatisé », dit-elle.
Je la relance : comment éviter une situation similaire sur un futur contrat à impact social puisque c’est aussi un processus de marchandisation ?
« Oui, je suis complètement d’accord et c’est pour cela que je dis qu’il faut avoir une grille de lecture beaucoup plus approfondie et faire passer la dimension d’impact correctement calculée en avant mais il faut aussi savoir prendre des risques et agir sans regret parce que si on ne fait rien, on reste dans l’entre-deux. On s’était fait chopé déjà une fois, il y avait eu un scandale sur la Maif sur des hôtels sur les migrants et nous n’avions rien vu, nous étions avec la CDC, nous avions l’impression d’être propre, nous n’avons pas vu le truc ». (Il s’agit du programme Prahda sur les Formules 1 transformés en résidences sociales hôtelières gérées par Adoma, via un fonds à impact social )
Du côté de l’Europe – économie sociale version entrepreneuriale
Le 17 février, une conférence réunissait Nicolas Schmit, commissaire européen responsable de l’emploi et des droits sociaux, et la secrétaire d’Etat chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire.
Ils ouvraient une table ronde entre 23 ministres de l’Union européenne réunit pour « une première historique », selon eux : discuter ensemble de l’économie sociale et « amplifier la dynamique » du plan d’action, construit par Nicolas Schmit, pour l’économie sociale.
Dix ans après l’initiative du business social ( « Social Business Initiative ») premier plan d’action de la commission européenne pour soutenir les entreprises sociales en Europe, la commission a publié le 9 décembre 2021 un nouveau plan d’action.
Entendre derrière l’économie sociale, l’économie sociale et solidaire mais le solidaire a sauté… et surtout l’accent est porté sur l’entrepreneuriat social. Olivia Grégoire a ouvert la séquence avec un : « Bienvenue à tous les entrepreneurs sociaux qui se connectent ! »
Leur plan d’action couvre les 8 prochaines années et à trois priorités :
1 - il veut « créer un cadre propice à l’essor de l’économie sociale », mieux la prendre en compte les besoins de l’économie sociale dans les politiques publiques : marchés publics, aides d’Etat, fiscalité mais aussi les politiques de santé, éducation, d’emploi, de protection de l’environnement. La commission prépare en ce sens une recommandation pour 2023 pour une politique de soutien à l’économie sociale.
2- « Développer des outils pour renforcer les capacités des acteurs de terrain », notamment en proposant de « nouveaux produits financiers » en 2022 via Invest UE (le programme de financement face à la crise Covid) pour mobiliser davantage de financement, y compris des financements privés. Il veut promouvoir, enfin, la mesure de l’impact social mais pour cela il faut élaborer des « méthodes simples » et Nicolas Schmit ajoute qu’il sait que c’est une des priorités d’Olivia Grégoire.
3 – Aider à une meilleure reconnaissance de l’économie sociale en aidant les activités de recherches, la collecte de données, de communication…
Enfin, le plan d’action pose des critères clairs pour définir l’économie sociale au niveau européen parce que « la confusion autour des différents concepts freinent la reconnaissance institutionnelle mais aussi les possibilités d’actions dans le marché intérieur ».
Le dispositif de présentation prévoyait ensuite que le commissaire et la ministre soient interpellés par 11 entrepreneurs sociaux partout en Europe. Celui de Grèce a demandé de déverrouiller les freins qui empêchaient les entreprises sociales d’être perçues comme des start-up… Représentant la France, il y avait Jeanne Brétécher, entrepreneuse sociale et fondatrice de l’association Social good Accelerator qui promeut le développement des Social Tech. Autre entrepreneur social : la Croix rouge…
Pour la Belgique, l’association Duo for a Job, qui est un des défenseurs farouches des contrats à impact et qui porte un contrat en Belgique et vient d’en signer un en France. Il a demandé a lever les « barrières » pour les contrats à impact : les contraintes juridiques, les coûts de mises en œuvre, des problématiques d’accès aux données… « Comment faire en sorte que ces nouveaux mécanismes de financement soient plus accessibles ? »
A la question, Olivia Grégoire répond : « Nicolas Schmit connaît ma passion pour les contrats à impact », elle souligne leur « efficacité pour engendrer de nouveau modèle » et dit que ces 18 derniers mois, 50 millions d’euros de CIS ont été signé en France. « Il faut les rependre aux quatre coins de l’Europe ».
Nicolas Schmit semble d’accord et veut les développer dans le cadre du fonds pour l’investissement stratégique européen avec semble-t-il (quand même) un bémol : la question de la mesure de l’impact : « il faut développer une méthodologie normalisé très simple, nous avons besoin d’une méthode ».
Il y a eu quand même une entrepreneuse sociale venue d’Espagne qui a demandé au commissaire comment éviter les fonds privés qui cherchent un intérêt spéculatif ? La question a été ignorée et est restée sans réponse…
A suivre :
La clef, le caillou dans la chaussure du groupe SOS
Pour la première fois, dans son expansion sans fin, le groupe sos est freiné par un caillou dans sa chaussure : le cinéma La Clef. Le collectif La Clef Revival occupe ce cinéma depuis deux ans et le fait vivre en proposant une programmation riche à prix libre, avec des séances qui démarrent à six heures du matin (et c’est souvent complet !). Il met également sur la table une contre-proposition à celle du groupe sos en construisant un autre modèle économique pour poursuivre cette aventure en sortant ce cinéma de la logique du marché, en lien avec la foncière Antidote.
Le groupe sos, qui se présente comme la première entreprise sociale d’Europe avec 550 établissements, 21 500 salariés et un milliard d’euros de chiffre d’affaire, lorgne désormais sur le secteur culturel. Après avoir constitué son énorme groupe en reprenant des associations en difficulté d’abord dans le champ de la lutte contre le VIH/sida puis dans tout le champ social et médico-social, leur appliquant une logique d’entreprise, le groupe s’intéresse désormais aux associations culturelles.
Quel modèle ce groupe impose au secteur associatif ?
Nous en débattrons vendredi 4 mars à 18h30 au cinéma La Clef - 34 rue Daubenton 75005 Paris - avec le collectif La Clef Revival qui racontera sa confrontation avec le groupe sos, Marianne Langlet du Collectif des associations citoyennes anciennement rédactrice en chef à Lien Social qui a observé l’expansion du groupe sos dans le médico-social, et le sociologue, professeur du Cnam, Jean-Louis Laville, qui apportera son éclairage sur le Social business, l’entrepreneuriat social et culturel.
Cette table ronde sera suivie de la projection du film Coup pour coup de Marin Karmitz qui raconte la grève d’une usine textile en 1968.
Venez nombreux !