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« Quels modèles de financements du monde associatif pour consolider sa place ? » Telle est la question de la saisine portée au Conseil économique, sociale et environnemental auprès de la commission économie et finance. Dans ce cadre, l’Observatoire citoyen de la marchandisation des associations a été auditionné le 31 janvier. Nous y avons porté notre analyse de la marchandisation et financiarisation des associations détaillée dans notre premier rapport . Voici le compte rendu détaillé de cette audition :

Introduction : l’Observatoire citoyen de la marchandisation
Présentation de l’observatoire et de son premier rapport :
Pour nous cette marchandisation résulte principalement de deux tendances de fond qui transforment à la fois le financement des associations et le regard porté sur leur rôle dans notre société.
L’arrivée d’une nouvelle gestion publique dans les années 80, le new public management, introduit dans les services publics et par ricochet dans les associations la culture du résultat, de l’évaluation quantitative, de l’efficience économique et du management par objectifs. Elle fait entrer dans les associations les outils de gestion du privé lucratif jugés plus efficients et plus légitimes.
A cette nouvelle gestion publique s’ajoute les règles de concurrence imposées par le marché unique européen qui veut que seule une défaillance du marché peut justifier l’intervention de l’Etat dans les activités économiques qu’elles soient portées par des entreprises ou par des associations.
En France, ces politiques néolibérales entrainent un recul de la subvention au profit des appels à projet et appels d’offre qui encouragent des processus de mise en concurrence entre associations, certaines tordent leur objet associatif pour entrer dans les cases de ces appels et emporter « le marché ».
Ce mode de financement change le rapport des associations aux pouvoirs publics, d’une politique ascendante où les associations construisaient leur objet associatif à partir des besoins, nous sommes passés à une politique descendante, qui les positionne en prestataires de service vis à vis de l’Etat ou des collectivités territoriales. Ce regard descendant des pouvoirs publics aux associations marque un recul net de leurs capacités à interpeller les pouvoirs publics, à remonter des besoins, à avoir une parole politique, à formuler de nouveaux droits, en bref à se placer comme co-constructeurs de politique publique.
Ces transformations favorisent aussi la fusion en grand groupe associatif et nourrit un flou entre les entreprises lucratives et les associations que nous observons notamment avec la montée de la notion d’entrepreneuriat social, venue du monde anglo-saxon, qui revendique l’introduction dans les associations des techniques de management du privé lucratif et invisibilise les associations.
Dans une étude récente de L’Injep, il est noté : « Cette valorisation de la complémentarité entre entreprises à capitaux et associations induit une « neutralisation d’éventuels conflits, une absence de critique des rapports de pouvoir et plus largement une dépolitisation des pratiques ».
Ce terreau favorise ce que nous décrivons dans la deuxième partie de ce rapport : la financiarisation des associations avec l’arrivée depuis les années 2010 d’un nouveau concept, celui de l’investissement à impact social, cette notion assure vouloir faire, grâce à des mécanismes financiers, à la fois le bien mais aussi du profit.
L’investissement à impact ouvre un nouveau champ pour les marchés financiers qui doivent désormais apparaître plus vert et plus social et donc cherchent des mécanismes financiers qui leur permettent ce transfert sans remettre en cause leur principe premier qui est le rendement financier. Dans ce cadre, les champs essentiellement portés par les associations peuvent apparaître comme des secteurs prometteurs.
Parmi les outils de l’investissement à impact social, on trouve le contrat à impact social. Ce mécanisme financier engage un acteur associatif, un investisseur privé et la puissance publique Etat ou collectivité territoriale. L’investisseur privé place de l’argent dans l’action associative et, en fonction des résultats atteints, la puissance publique rembourse la somme investie avec intérêts.
Notre observatoire poursuit aujourd’hui ses travaux pour explorer des pistes de « démarchandisation » des associations. Dans ses travaux, l’observatoire tente de repenser les modalités de subvention de fonctionnement, dégagée du discrétionnaire politique, inscrite dans une gestion démocratique et citoyenne. Pour suivre, ces travaux, nous publions chaque mois une lettre d’information, Le Klaxon, à retrouver sur le site de notre observatoire. Nous avons notamment exploré les travaux portés par le collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation ou encore le modèle wallon de financement de l’éducation permanente.

Un mode de contractualisation non adapté : L’exemple présenté par le Mouvement pour le Planning familial

L’observatoire est également le lieu de croisement et de remontées des conséquences de la marchandisation. L’exemple du numéro d’écoute pour les femmes victimes de violences, présenté par Carine Favier du Mouvement pour le Planning Familial, éclaire tout particulièrement les risques des appels d’offre pour les associations (voir aussi cet avis du HCVA). L’Etat aurait pu faire le choix de pérenniser et consolider ce travail de long terme. A l’inverse, il a décidé de lancer un appel d’offre qui, dans son cahier des charges, questionnait profondément les pratiques des associations. Basé essentiellement sur des critères quantitatifs, il ne prenait pas du tout en compte la qualité de l’écoute, le besoin du temps nécessaire à cette écoute, à l’inverse, il exigeait une durée limitée d’écoute. La longue expérience de la FNSF qui est à l’origine de ce service d’écoute, de ses 73 associations membres, et des associations partenaires est largement ignorée. Par leur expertise, leur positionnement, elles contribuent à la prévention des féminicides.

Au contraire une approche mercantile, déconnectée et éloignée de la mission première du 3919, était choisie. Des pénalités étaient par exemple prévues en cas de réduction du nombre d’appels pris en charge, règle aberrante pour un réseau dont l’objectif est justement de faire baisser les violences conjugales.

Cet appel d’offre remettait donc en question une connaissance fine des dispositifs de soutien, un maillage associatif construit sur le temps long, principalement axé sur des aspects quantitatifs, faisant craindre une détérioration majeure de l’aide et du soutien apportés aux femmes victimes de violences. Suite à la mobilisation des associations, l’appel d’offre a finalement été abandonné mais cet exemple montre bien la nécessité, pour le bon fonctionnement de notre société, de protéger ces causes d’intérêt général des règles du marché.

Des appels à projets qui se rapprochent des appels d’offres

Si les appels à projet ont été pensés, dans un premier temps, pour éviter les effets néfastes des appels d’offre sur les associations, il devient clair aujourd’hui qu’ils se rapprochent de plus en plus des appels d’offre et que leurs effets sont de plus en plus similaires. Dans un mouvement de jeunes comme le Mouvement rural des jeunesses chrétiennes (MRJC), la course aux appels à projet épuise les jeunes bénévoles, empêche la vie démocratique du mouvement qui n’entre plus dans ces cadres de financements. Le temps passé à répondre aux appels à projet prend finalement le pas sur l’activité même de l’association.

Dans ce contexte de raréfaction des financements publics et de transformation des modalités d’accès à ces financements, des nombreuses associations renforcent leur auto-financement, développent des services payants ce qui éloigne d’elle les personnes en difficulté et les conduit à orienter d’avantage leur projet ou certaines de leurs actions en direction des publics solvables. (Voir notamment ce rapport du HCVA sur l’effet de la concurrence lucrative sur le modèle associatif)

Ce mode de contractualisation et de modèle socio-économique favorise l’entrée d’acteurs marchands dans des secteurs essentiellement portés et développés par les associations. Il invisibilise les acteurs associatifs et transforme les pratiques associatives. Dans le secteur culturel, par exemple, les artistes, les professionnels, les amateurs, les personnes participantes à des actions, les associations sont transformées en client ou vendeur de service.


De l’évaluation de l’utilité sociale à la mesure de l’impact social : une perte de sens

Ces transformations des financements associatifs se sont accompagnées d’une évolution des modalités d’évaluation des associations qui sont passée d’une évaluation de l’utilité sociale à une mesure de l’impact social. Cette évolution transforme là encore en profondeur les pratiques (Voir les travaux de la chercheuse Marion Studer notamment cette revue de littérature). L’évaluation par la mesure d’impact fait primer la mise en avant d’indicateurs simples, lisibles par des financiers. Cela facilite le développement d’acteurs lucratifs comme les start up à impact, par exemple, que nous voyons aujourd’hui arriver dans des secteurs jusqu’à là portés par des associations, au dépend de pratiques associatives systémiques qui auront du mal à rendre visible leurs pratiques via ce langage.

Quelques conséquences sur l’action associative

Nous assistons depuis 20 ans à une baisse de la part des ressources publiques sous la forme de subvention dans les budgets des associations. Elles représentaient ainsi 34% des ressources en 2005 contre 20% en 2017. Pour rappel, les caractéristiques de la subvention : Celle-ci doit être à l’initiative du projet et la personne publique ne doit attendre et n’en demander aucune contrepartie directe (exemple une prestation), sinon, il s’agira d’une commande publique

Cette baisse s’accompagne d’une hausse des marchés publics, des cotisations et participation des usagers et du développement d’autres ressources monétaires privées. Dans le même temps, les subventions s’apparentent de plus en plus à des marchés publics déguisés (AP, AMI).

Ce mode de financement de plus en plus marchand a plusieurs conséquences sur les actions et la vie associative :
- La hausse et le développement des services aux usagers constitue un frein à l’accès aux associations des populations en difficulté et peut conduire les associations à orienter davantage leur projet ou certaines de leurs actions en direction de publics solvables.
- Concentration financière et développement des plus grosses associations et baisse du nombre d’associations de taille moyenne
- Ce mode de contractualisation et de modèle socio-économique favorise l’entrée d’acteurs marchands dans le champ culturel, invisibilise les acteurs associatifs et transforme leurs pratiques. Les personnes participants à ces projets (artistes, professionnel.le.s, amateur, personnes participants à ces actions, associations…) sont transformées en client et vendeur de service.

- Les indicateurs quantitatifs fondés sur les principes de marché (nombre de créations, nombre de diffusion d’un spectacle, remplissage des jauges) s’avère contre-productif. Alors que nous devrions devrait être sur le référentiel des Droits culturels (lien avec les travaux de l'Ufisc et du MES, sur l’éthique de la relation) et des démarches de progrès.
- Par exemple, le catalogage de services EAC (éducation artistique et culturelle) sur la plate-forme Adage liée au Pass culture se fait au détriment des constructions partenariales qui se faisaient en local.
- La marche forcée des réseaux vers des dynamiques de marché et de concurrence a des effets délétères sur les relations interne de l’association et externe, sur le territoire avec les autres associations du territoire.
- Enfin, on peut se poser la question de la marchandisation des associations, de la complexité de gestion, des attaques politiques sur l’évolution des CA des bénévoles. Au-delà du découragement, de la tendance au développement de l’administration, des contrôles, des attaques et baisses de financements, une question peut légitimement se poser sur l’envie des bénévoles de poursuivre une action qui s’apparente plus à une entreprise sur un marché qu’à une association d’intérêt général. Pour rappel : l’âge des dirigeants (à 43% les président ont plus de 65 ans et 36,9 les présidentes), que les fonctions (CA) ont du mal à s’ouvrir aux CSP ouvriers 5% et agriculteurs 1,7%. On constate que ces évolutions de ces dix dernières années ne témoignent pas d’une démocratisation de la gouvernance associative. On assiste même à une légère croissance des cadres supérieurs et des professions libérales, la mixité sociale n’est donc pas le fort des bureaux associatifs. Ce qui pose problème pour la démocratie, l’innovation sociale (amener de nouveaux questionnements). Cette marchandisation de l’activité des associations ne joue-t-elle pas sur ces évolutions ?

Préconisations pour démarchandiser les relations de la puissance publique avec le monde associatif

Parmi les préconisations, il nous semble aujourd’hui essentiel de défendre le modèle associatif français et sa définition première de la subvention dans un contexte de politique européenne qui pousse, via la vision de l’entrepreneuriat social et la notion de lucrativité limitée, vers un isomorphisme marchand au détriment de l’intérêt général.

1/ une loi de programmation sur l’ESS, sans oublier les associations qui en constituent la majeure partie, donnerait un cap politique et budgétaire à cet écosystème à même de proposer des alternatives face aux grands enjeux de bifurcation écologique et sociale.

2/La nécessité de (re)donner du souffle à la notion de co-construction, de relation partenariale avec les collectivités territoriales, viendrait contrer un processus d’instrumentalisation des associations qui les cantonne à exécuter des politiques publiques décidées sans elles. L’histoire associative montre que les initiatives citoyennes sont souvent à la racine de nos institutions et dispositifs sociaux. Dans ce cadre, il est nécessaire d’encourager des espaces de diagnostic et de stratégie partagée au niveau territorial.
3/ Valoriser les expériences de partenariats avec des Conventions Pluriannuelles d’Objectifs longues (5 ans) entre association/collectivités locales, des exemples de ce type de relation existe déjà par exemple à Rennes ou à Nantes.

4/ Le besoin d'appui à la recherche associative non lucrative, coopérative : Créer des espaces de recherches-action (l'autre versant de la recherche, qui constitue un besoin social aussi légitime et ne coûte pas plus cher, tout en étant très complémentaire à la recherche fondamentale parce plus proche du terrain, plus concrète et plus dans les pratiques (métiers, partenariat, droit,...). Ces recherches se mènent et se mettent en lien sur le long terme, ce qui implique de travailler la sécurité du travail réalisé par les parties prenantes (notamment les gouvernances et les salariées). Ce besoin était très partiellement rempli par le "Fonjep recherche" qui vient de disparaître alors qu'il était essentiel.

4/ Quelques pistes et réflexions sur les financements
- Rendre effective la redistribution des biens mal acquis à des associations, des fédérations comme l’autorise maintenant la loi. Désormais, en application de la loi du 8 avril 2021 améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, les associations d’intérêt général, les associations et fondations reconnues d’utilité publique pourront bénéficier temporairement des biens mal-acquis ayant fait l’objet d’une décision de confiscation définitive par les tribunaux.
- Reconnaissance des réseaux et de leur financement
Un des points assez central dans le phénomène de marchandisation est l'insuffisante reconnaissance de réseaux et coordinations en tant que corps intermédiaires au sein de l'ESS et leur non financement. Ces espaces créés pour dialoguer avec les pouvoirs publics le font aujourd'hui quasi gratuitement!
- Souligner la question de la gestion d'une association et l'importance de pouvoir constituer des fonds propres. Proposition : dédier 10% à 20% de la subvention de fonctionnement ou de projet accordé à la constitution de fonds propres pour pouvoir assumer les obligations employeurs (fonds en cas de difficultés économiques et possibilité de garantir un cadre à une équipe salariée, réserves obligatoires pour les retraites etc.).
- Créer un fonds public mutualisé de trésorerie.
- Revenir sur la requalification fiscale des associations qui auraient quelques activités commerciales sur la base du principe de concurrence. Différencier d’une structure commerciale de ces structures associatives non lucrative définie par la gouvernance et le réinvestissement des excédents dans la structure (non partage des bénéfices).

Enfin, la défense de l’association comme espace d’expression, de construction des colères, d’exercice et de construction des droits culturels, sociaux, politiques, économiques, de participation pleine à la vie de la cité, d’invention des alternatives pour la rendre plus démocratique, écologique et sociale passe par des financements pérennes et dans le temps long, consolidés par des instances de gestion démocratiques et citoyennes.
Ce 18 décembre, le département du Nord a finalisé la signature d’un contrat à impact social (CIS). Pour la première fois, nous avons eu accès au contrat de cet outil financier particulier généralement couvert par le secret des affaires. Sa lecture conforte les alertes que notre collectif porte sur cet outil depuis son arrivée en France en 2014.

Les CIS mettent autour de la même table, l’Etat ou une collectivité territoriale, des investisseurs privés (essentiellement des banques, fonds d’investissement et assurances) et une association qui porte une initiative dite innovante.
Les investisseurs placent de l’argent dans cette initiative et selon des « indicateurs de performance », des mesures d’impact social ou écologique, les pouvoirs publics remboursent cette somme avec des intérêts et des primes de performance établis en fonction des résultats atteints ; le retour sur investissement du contrat du Nord peut atteindre 9,50%, un très bon produit pour les marchés financiers.

Les défenseurs de ces outils, gouvernements ou entrepreneurs sociaux, arguent notamment que les pouvoirs publics y trouvent leur intérêt puisqu’ils n’avancent pas l’argent et ne prennent pas le risque de financer une innovation sans résultat. Tout le risque, assurent-ils, est pris par les investisseurs qui ne sont remboursés que si les résultats sont attestés.
Le contrat du Nord nous montre, à l’inverse, que le mécanisme de remboursement, intérêt et prime compris, s’enclenche dès les premiers mois du programme. Quant au risque, il apparaît minime étant donné les faibles « indicateurs de performance » choisis. D’autant que le contrat prévoit des révisions possibles des objectifs à la baisse voire même un retrait anticipé des investisseurs en cas de problème. Enfin, investisseurs et département surveilleront comme du lait sur le feu, via un comité de pilotage semestriel, le déroulement de l’action et pourront à tout moment revoir ces indicateurs à la baisse, réviser le programme. Ce comité de pilotage montre également la main mise des investisseurs, via ces outils, sur les pratiques associatives.

L’association désignée comme « l’opérateur » – les mots utilisés sont loin d’être neutres – devra comptabiliser le nombre de personnes accompagnées qualifiées comme telle à partir d’au moins un rendez-vous réalisé (1er indicateur), le nombre de mois de sortie du RSA pour chaque personne accompagnée (2ème indicateur) et le nombre de sortie pérenne entendue comme l’absence de RSA pour une personne accompagnée pendant 12 mois consécutifs (3eme indicateurs).
Des objectifs quantitatifs sont fixés pour le programme sur toute sa durée : accompagner 760 allocataires du RSA, travailleurs indépendants ou entrepreneurs pour créer son entreprise pour en faire sortir 170 du RSA pendant 12 mois consécutifs. Tous ces indicateurs doivent faire l’objet régulier de remontées de données vers l’évaluateur qui délivre des « attestations de performance » permettant le déclenchement du remboursement.

Les investisseurs financiers, BNP Paribas (moteur dans le développement de ces outils financiers en France), Sogefir du groupe Mulliez et la Fondation de la plus grande banque d’affaire privée belge Degroof Petercam (épinglée en 2019 pour irrégularités en matière d’application des règles anti-blanchiment d’argent), placent 1 936 272 euros dans ce programme de l’association Positiv. Cette dernière, lancée en 2006 par Jacques Attali suite aux révoltes de 2005, vise à « lutter contre la pauvreté et toutes formes d’exclusion en utilisant l’entrepreneuriat positif comme moyen d’émancipation et d’insertion professionnelle ».

La lecture de ce contrat prouve le coût extrêmement lourd de son ingénierie pour les finances publiques : La structuration du contrat portée par BNP Paribas coûte 99 200 euros ; le coût de l’évaluateur : 123 540 euros, le coût total des intérêts des investisseurs : 183 946 euros. Finalement, le département paye pour cette action un montant total de 1 936 272 euros dont plus de 20% relève uniquement de l’ingénierie financière... Reste une grande question : si on comprend l’intérêt des investisseurs, l’intérêt de l’association qui troque tout de même sa liberté d’action contre une grosse somme d’argent, qu’el est l’intérêt du département de choisir de dépenser autant plutôt que de passer par une subvention classique ?
Le 6 novembre dernier, Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises qui compte dans son portefeuille l’économie sociale et solidaire, présentait sa feuille de route. Elle retrouve ainsi un sujet qu’elle connaît bien puisqu’elle avait été secrétaire d’Etat chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable entre 2020 et 2022.
Elle sera épaulée par un nouveau délégué ministériel à l’ESS, Maxime Baduel, jusqu’alors directeur de l’association Solidarités nouvelles pour le logement et qui avait déjà travaillé avec elle au ministère en 2020.
Son fil rouge : rapprocher l’ESS de l’économie classique. Faire déteindre ou faire fondre les principes de l’ESS sur/dans l’économie classique ? La question reste en suspens mais tout au long de son discours en entend bien que lorsqu’elle parle de l’économie sociale et solidaire, la ministre voit essentiellement des entreprises (certes avec une gouvernance particulière) mais pas vraiment les associations pourtant la forme majoritaire au sein de l’ESS.

Elle assure vouloir remplir sa promesse de 2020, jamais réalisée, de placer un équivalent temps plein dédié à l’ ESS dans chaque préfecture, renforcer les chambres régionales de l’ESS et poursuivre le soutien au pôles territoriaux de coopération économique PTCE avec des budgets pour le moins restreints. Son budget atteint, comme l’année précédente, 20 millions d’euros. Dans cette enveloppe ont été notamment annoncé : un million d’euros par an sur trois ans pour un fonds d’amorçage sur les projets d’ESS en territoire rural et 2,5 millions d’euros par an pour les PTCE.

Par ailleurs, elle renouvelle « sa passion » pour les contrats à impact. Ils seront un axe fort de sa feuille de route. Un peu délaissé du temps de Marlène Schiappa, ces contrats retrouvent donc avec Olivia Grégoire une ardente défenseuse. Elle souhaite les simplifier pour mieux « les massifier » comme elle l’avait déjà annoncé lors de la remise du rapport de Thomas Cazenave visant au développement de ces contrats en 2022 (Klaxon#2).

Un rapport dont elle assure vouloir s’inspirer et qui, rappelons-le, appelait à se défaire des considérations morales françaises et à augmenter les taux d’intérêt de ces contrats pour mieux attirer les investisseurs financiers. Elle annonce vouloir raccourcir la phase de structuration pour qu’elle ne dépasse pas douze mois là où aujourd’hui elle peut s’étendre sur plusieurs années. Un certain nombre de nouveaux contrats devaient être annoncés. Depuis 2020, trois appels à projets avaient été lancés en 2021 et 2022, une vingtaine de contrats ont été sélectionnés dont certains sont toujours en phase de structuration. (voir notre tableau dans le rapport). Or, l’enveloppe totale consacrée à tous ces CIS (et qui seront donc remboursés au final par l’Etat) atteint plus de 52 millions d’euros …

Dans le projet de loi de Finances pour 2024, le budget alloué à l’ESS de 19,2 millions d’euros est détaillé. L’enveloppe (4,1 millions) dédiée au développement des structures de l’ESS est réduite tandis que l’investissement a impact reçoit 1,4 millions. « Cette évolution s’explique notamment par le fait que l’Etat va procéder au paiement de sa contribution annuelle aux contrats à impact engagés et initier de nouveaux contrats à impact » explique le Mouvement associatif dans son analyse du projet de finances. Ce glissement marque bien le risque que représente, pour les structures historiques de l’ESS, le développement de l’investissement à impact qui vient clairement, dans ce projet de Finances, amputer une partie du financement de l’ESS au profit, soulignons le, d’acteurs qui en sont très éloignés comme, par exemple, BNP Paribas structurateur et investisseur de la plupart des contrats à impact en France.

Concernant une révision de la Hamon de 2014, annoncée par Marlène Schiappa à l’époque, elle rétropédale assurant que si certains points peuvent être améliorée, et confirme : la loi ne sera pas changée en une loi Grégoire. Pas de loi de programmation non plus pour l’ESS mais un « contrat de filière » qui laisse sceptique de nombreux acteurs puisqu’un tel contrat aura du mal à prendre en compte de l’aspect transverse de l’ESS, et notamment la place des associations, sauf à justement ne pas considérer cette transversalité qui semble bien la vision d’Olivia Grégoire.
Chaque année, le forum national des associations et fondations (FNAF) semble s’éloigner de son objet associatif. Le cru 2023 qui a eu lieu ce 17 octobre ne déroge pas à la règle : banques, assurances, mutuelles, conseil en audit et gestion de patrimoine, prennent une part considérable là où le village des associations semble extrêmement pauvre. Aucun des grands réseaux associatifs n’y est représenté. Le mouvement associatif a, cette année, jeté l’éponge. L’Uniopss n’a même pas envisagé qu’elle pouvait y avoir une place. En effet, ce forum est-il bien destiné aux associations ? Si le groupe SOS y est largement représenté, pour celles qui ne se reconnaissent pas dans ce modèle, nous pouvons en douter.

Ce forum est la quintessence de ce que tente de décrypter, pour mieux le contrer, l’Observatoire citoyen de la marchandisation des associations. On vous y apprend, entre autres, comment une intelligence artificielle peut vous dénicher vos subventions (moyennant une trentaine d’euros par mois), comment mesurer votre impact avec, entre mille outils, le grand quizz de l’impact, ou un impact dating proposé par le Groupe SOS consulting qui évalue entre 10 000 et 30 000 euros le coût d’une évaluation d’impact, « moins cher », Impact track vous proposera un forfait à 5000 euros à moins que vous décidiez d’utiliser la méthode d’évaluation d’impact par le calcul du SROI ? (voir l’article suivant).

Sinon, vous pouviez aussi savoir « comment profiter de la hausse des taux pour investir ses réserves financières », comment faire son bilan carbone, comment « dynamiser votre association et booster votre activité avec des produits innovants et des avantages membres », comment construire une stratégie immobilière, comment entrer dans le groupe SOS (voir article suivant)…

Ce rendez-vous qui se qualifie d’incontournable pour le secteur associatif, la philanthropie et l’économie sociale et solidaire offre en effet un tour d’horizon magistrale de l’entrée des logiques de marchandisation dans le secteur. A quand un contre forum ?
Le 6 juillet, près d’un millier de personnes répondait à l’appel de Bastien Sibille, président de Mobicoop et des Licoornes, d’aller chercher un milliard pour financer la « transition juste». « Nous ne pouvons plus attendre pour changer de modèle. Il nous faut agir plus résolument pour basculer dans un système visant à rendre notre planète habitable et juste pour toutes et tous ».
Pour se faire, il appelle à une économie « réelle », « redistributive et respectueuse du vivant ». S’il veut interpeller l’Etat via la banque des territoires, il s’adresse principalement à la finance. « Pourquoi ne sommes nous pas assez financés ? Parce que les actions que nous conduisions, nos modèles économiques, nos modèles juridiques, ne sont pas suffisamment rentables sur le plan financier ».

Aucun financier n’accepte d’apporter des parts de capital parce que ces modèles ne proposent pas de plus-value sur la revente des parts sociales, parce qu’ils ne distribuent pas de dividendes, parce qu’ils ne leur offrent qu’une voix à leur Assemblée générale quelle que soit la part apportée. Certains proposent d’apporter de l’argent sous forme de dette. « Mais cette dette coûte aujourd’hui entre 7% et 10 % d’intérêts. Or nos modèles économiques ne sont pas fait pour cracher du cash, on n’est pas là pour cela », explique Bastien Sibille. Il appelle à changer le rapport de la finance à la lucrativité du capital pour qu’il soit moins rémunéré voire pas rémunéré du tout.

« Il faut proposer une rémunération qui compte le taux d’inflation + 1% pour la gestion et cela donne la rémunération de la dette ». Son objectif : créer un fonds citoyen doté d’un milliard de dollars pour cette « transition juste ». Comment constituer ce fonds citoyens ? Quels financements aller chercher ? Quelle gouvernance pour ce fonds ? Quelle suite après le milliard ? Autant de questions abordées dans les ateliers avec des questions restées largement en suspens : pourquoi ne pas aller du côté de Bercy pour récupérer un milliard de budget de l’Etat pour cette même transition (rappelons que la fraude fiscale s’élève à 80 milliards) ? Construire un rapport de force politique pour sortir de ce lien à la finance qui nous entraine vers les fonds à impact ? Quel lien avec les autres appels ?

Notamment l’appel en 2020 de Jean-Michel Lucas à un prêt massif de 8 milliards pour soutenir la vie associative qui « préserve le visage humain de notre société et maintient vivantes les relations d’humanité ». Un prêt avec des conditions d’échéances de remboursement « à très long terme » qui appelait à être inclus dans le plan de relance pour ne pas l’axer uniquement sur la sphère de l’économie marchande mais également pour promouvoir une société plus humaine.
Fin mai, le Crédit Mutuel lançait son premier fonds à impact « Impact First ». La banque rejoint ainsi la longue liste des fonds à impact qui ouvrent les uns après les autres avec toujours l’affirmation de faire « le bien » mais aussi du profit grâce à l’investissement à impact.

Racine2 , Shift4Good , Mutuelles Impact, Impact Expansion sont tous des nouveaux fonds à impact. La dernière a notamment investi dans la structure Gojob, lauréate d’un contrat à impact social. La startup Gojob, qui se présente sur son site comme une agence d’intérim « labélisée entreprise économique et solidaire » (sic), propose une nouvelle forme d’accès à l’emploi pour les publics éloignés, basée sur une intelligence artificielle. « Pour la première fois, les recommandations de l’IA supplantent les recommandations humaines et sont capables de proposer des candidats oubliés de l’emploi, avec une fiabilité qui dépasse l'humain », assurent ses concepteurs qui affirment pouvoir analyser « 200 000 CV par heure » pour trouver l’emploi ou la formation « qui conviendrait le mieux pour atteindre son job de rêve ». Un job car Pascal Lorne, le fondateur de Gojob, est aussi celui qui a écrit le livre « 10 jours pour hacker le travail » où il appelle à casser les CDI qui, à ses yeux, « crée une caste ». Son souhait ? « Ubériser l’emploi » (extrait de notre rapport sur la marchandisation des associations)… Belle promesse d’impact social !

Tous ces fonds investissent dans des associations, entreprises, start up à impact qui proposent des « solutions » pour répondre à des questions de précarité, d’égalité de genre ou encore d’écologie. Racine2 , le fonds à impact de la mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN), annonce ainsi « 85 millions d’euros pour prendre soin du monde ». L’ouverture par les mutuelles de ces fonds à impact questionne leur histoire. Les mutuelles, acteurs historiques de l’économie sociale et solidaire, construite à l’origine sur des principes de gouvernance démocratique, de non-lucrativité et d’utilité sociale, se sont largement éloignées de leurs principes originels. L’ouverture de fonds qui allient profit et impact semble les en éloigner un peu plus.

Au total, en France, le mouvement Impact France recensait 60 fonds à impact à la fin de l’année 2022 pour 4 milliards d’euros d’encours. Ces fonds se définissent tous avec le même triptyque : intentionnalité, additionnalité et mesurabilité. « L’additionnalité parce qu’il est possible de cumuler un profit et un impact social ou environnemental. L’intentionnalité d’investir non seulement pour un retour financier mais également écologique et social. La mesure de l’impact pour mesurer ce que l’on fait », définissait Yasmine Hamraoui, administratrice du French Impact en 2021. La mesure de l’impact reste donc centrale et la méthode pour le mesurer toujours en question… Dans un article du Nouvel économiste, publié en février dernier, Laurence Mehaignerie, directrice du fonds à impact de Citizen Capital, qui vient de lancer son 6ème fonds à impact dédié aux contrats à impact (voir Klaxon #13), explique : « La profondeur de l’impact que l’investisseur souhaite avoir peut également constituer une limite, car certains besoins sont difficiles à résoudre ». En effet, difficile (c’est le moins qu’on puisse dire !) de « mettre fin à la pauvreté partout dans le monde et sous toutes ses formes », comme le stipule l’objectif de développement durable (ODD) numéro 1 parmi les 17 fixés par l’ONU qui constituent les impacts à atteindre pour ces fonds. D’autant plus difficile tant que l’économie néolibérale, dont ces fonds représentent le pur produit, se revendiquera comme la seule possible.
Le 4 avril dernier, le mouvement Impact France (MIF) a renouvelé son conseil d’administration et choisi un nouveau binôme pour sa présidence. Rappelons que le mouvement Impact France est issu du Mouves, le mouvement des entrepreneurs sociaux créé en 2010 par le groupe SOS et présidé alors par Jean-Marc Borello, le président du Groupe SOS. Ce dernier voit dans le « capitalisme d’intérêt général » (le titre d’un de ses luvres) qu’il défend un moyen de résoudre par le capitalisme les problèmes que le capitalisme engendre (Pour creuser le sujet, voir cet article du syndicat Asso). Le modèle pour y arriver : l’entrepreneuriat social, forme hybride entre association et entreprise qui calque le modèle de l’entreprise jugé plus efficace.

L’assureur Pascal Démurger de la MAIF arrivera donc à la tête du mouvement avec Julia Faure, cofondatrice de Loom, une marque de vêtements, le 24 mai prochain. Le tandem veut faire entrer au conseil d’administration des entreprises comme Doctolib, KPMG, ou l’Occitane tout en gardant bien sûr une place importante au groupe SOS. Il propose un siège au CA à Anne de Bayser, ex-sécrétaire générale adjointe d’Emmanuel Macron à l’Elysée et désormais présidente de la branche solidarité du groupe SOS.

L’arrivée de ce tandem à la tête du mouvement fait réagir en son sein. Pour Bastien Sibille, président des Licoornes, cela pose « deux questions dans l’évolution actuelle d’Impact France : la question de la dilution de la notion d’impact social et écologique et le renoncement à la bataille pour la juste répartition des richesses, notamment à travers l’encadrement des écarts de salaires et l’encadrement du capital », réagit-il dans une tribune publiée sur Linkedln. Il ajoute : « Ce choix est important pour l’ESS car s’y exprime une vision de ce qu’elle est ». Pour notre collectif, là est bien le problème.

Le mouvement Impact France présente l’entrepreneuriat social comme principal représentant de l’économie sociale et solidaire (ESS). Or pour nombre d’acteurs de cette économie le MIF détourne la portée politique de l’ESS et notamment sa critique des fondements de l’économie capitaliste. A l’inverse, l’entrepreneuriat social s’adapte à l’économie de marché, à ses exigences de rentabilité et de concurrence. Le discours porté par l’entrepreneuriat social efface voire écrase la potentialité d’alternative économique portée par l’économie solidaire.

Dans un texte publié le 9 avril, le Mouvement pour l’économie solidaire (MES) rappelle que « le projet du Mouvement Impact France ne saurait être confondu ni avec l’économie solidaire ni même avec l’économie sociale et solidaire ». Ce projet dévalorise notamment le modèle associatif qui, pour le président du groupe SOS, est dépassé. « Son modèle économique arc-bouté sur le principe non lucratif, apparaît à présent inadapté aux exigences actuelles et de moins en moins dépositaire de l’intérêt général », écrit-il. Jean Moreau, coprésident de Tech for Good France (qui fait partie d’Impact France), allait au bout de cette logique dans un entretien au Monde en septembre 2020 : « L’économie sociale et solidaire était jusqu’alors perçue comme très à gauche, militante. Nous, on a réussi à rendre ça bankable et sexy. Aujourd’hui, avoir une mission noble ajoute un supplément d’âme à votre business et attire les investisseurs. »

L’entrée au CA du Mouvement Impact France des entreprises comme Doctolib ou KPMG montre bien la suite logique de ce positionnement. Ces grandes entreprises désormais « à mission » en entrant dans le mouvement Impact France récupèrent en même temps le « label » ESS. Quelle aubaine pour des entreprises comme KPMG spécialiste de « l’optimisation fiscale » ou encore Doctolib, acteur majeur de la privatisation des données médicales. A quand l’arrivée de BNP Paribas au CA d’Impact France ? L’entrée de ces entreprises dans le MIF pourrait peser lourd sur les discussions en cours alors que la loi ESS de 2014 est en phase d’évaluation et bientôt de révision. Quel poids prendra Impact France et sa vision très particulière de l’économie sociale et solidaire au sein d’ESS France à l’heure de ce rendez-vous législatif d’importance ?
Le 17 février dernier, nous présentions le premier rapport de l’observatoire, intitulé « Marchandisation et financiarisation des associations ». Vous pouvez retrouver la conférence de presse en ligne et le rapport à télécharger.

« Nous avons été frappé par des logiques de marché et il nous fallait les comprendre », la phrase de Claire Bizet du mouvement associatif des Hauts de France peut résumer l’objectif de ce premier rapport. Un autre objectif était de montrer comment ces logiques traversent tous les secteurs associatifs avec, au final, un effet similaire de dépolitisation et de désamorçage de leurs capacités émancipatrices et subversives.

Ces logiques de marchés nous tentons de les décrire en deux temps dans ce rapport. Une première partie s’attache au processus de marchandisation notamment insufflé par la politique européenne qui en créant un marché unique regarde les associations comme des entreprises. En France, cela se traduit par le recul de la subvention au profit des appels d’offre et appels à projets avec pour conséquences la mise en concurrence des associations, le financement par projet, la transformation en prestataire de service, le fusionnement des associations en grand groupe… La montée de la notion d’entrepreneuriat social qui floute les différences entre associations et entreprises en est un autre effet. Elle revendique l’introduction dans les associations des techniques de gestion du privé lucratif présentées comme plus efficaces.

Ce terreau favorise ce que nous décrivons dans la deuxième partie de ce rapport : la financiarisation des associations avec l’arrivée depuis les années 2010 d’un nouveau concept, celui de l’investissement à impact social, cette notion assure vouloir faire, grâce à des mécanismes financiers, à la fois « le bien » mais aussi du profit. Ceux qui promeuvent ces mécanismes financiers (entrepreneurs sociaux, banques, assurances, fonds d’investissements, cabinets de conseil…) portent le récit d’un sauvetage des pauvres et de la planète par le marché. Ils maintiennent se faisant une vision de l’économie axée sur l’impératif de croissance qui aujourd’hui se heurtent aux limites de notre planète.

Ils s’appuient sur l’idée que le capitalisme engendre des problèmes qu’il est en même temps capable de résoudre et inventent des tas de nouvelles façons de qualifier le capitalisme « capitalisme d’intérêt général », « capitalisme inclusif », « capitalisme citoyen », « capitalisme vert » ou encore « capitalisme à impact », ces entrepreneurs sociaux organisent un écosystème qui se revendique de l’économie sociale et solidaire tout en lui retirant sa sève : une critique radicale du capitalisme et une approche de l’économie dégagée de l’idéologie néolibérale.

Parmi les outils de l’investissement à impact social, on trouve le contrat à impact social. Ce mécanisme financier engage un acteur associatif, un investisseur privé et la puissance publique Etat ou collectivité territoriale. L’investisseur privé place de l’argent dans l’action associative et, en fonction des résultats atteints, des mesures d’impact social, la puissance publique rembourse la somme investie avec intérêts.

Toute la dernière partie du rapport s’intéresse à cette notion de mesure de l’impact social qui aujourd’hui dépasse largement le cadre des seuls contrats à impact mais se retrouve dans le langage courant des associations. Il faut désormais faire la preuve que son action à de l’impact. Mille méthodes sont aujourd’hui développées par des universitaires ou des grandes écoles comme l’Essec Business school, des cabinets de conseil (notamment KPMG), des agences d’ingénierie comme l’Avise et même un premier « Think and do tank », l’Impact Tank mis en place par le groupe SOS à l’origine du tout récent Sommet de l’impact à l’Assemblée nationale (voir Klaxon #11).
L’Assemblée nationale, sa présidente, cinq ministres et secrétaires d’Etat, des anciens ministres, 3000 personnes inscrites pour 350 places… en terme de démonstration de force, le Groupe SOS frappe fort. Son Sommet de la mesure d’impact, le 13 février à Paris, son slogan « pour bâtir un new deal de l’impact », veulent convaincre que le « capitalisme à impact » est la bonne solution pour résoudre les maux du monde.

L’impact Tank du groupe SOS avec des alliés comme par exemple la banque JP Morgan (championne du monde de l’investissement carbone selon le rapport Banking on climate chaos) ou BNP Paribas (classée par le rapport Oxfam comme l’une des plus polluantes) nous assurent qu’ils ont « la solution » face aux enjeux écologiques et sociaux avec un outil financier : l’investissement à impact construit sur la mesure d’impact. La technologie financière va sauver le monde…

Une fois ce postulat martelé, reste à expliquer la technique. Qu’est-ce que la mesure d’impact ? Une nouvelle définition en vogue propose trois critères : l’intentionnalité de créer de l’impact (pas uniquement du profit), l’additionnalité du profit et de l’impact (faut pas pousser), et la mesurabilité de ce qui est fait. Cette mesurabilité résiste. « Pour décider, il faut avoir des chiffres, le décideur est homme de mesures mais cette mesure d’impact est complexe : comment mesure-t-on notre humanité ? », s’interroge Alexandre Lourié, directeur général en charge de l’international au groupe SOS. Vaste question.

Les méthodes divergent : certains assurent, comme Philippe Taffin, co-pilote de la Task Force impact à Finance for Tomorrow (sic) qu’il faut « une méthode clair et transparente », « un cadre harmonisé exigeant », « des outils opérationnels pour les acteurs financiers » avec une « charte d’impact » qui déroule 10 principes à respecter, une grille d’évaluation de 30 questions qui permet de déterminer votre score potentiel d’impact. Plus près du terrain, Cécile Campy-Bianco, du réseau des groupements de créateurs, explique que pour mesurer l’impact il faut pouvoir démontrer que c’est bien votre intervention qui a permis l’impact.

Son association propose un suivi à des jeunes de mission locale qui ont un projet d’entreprise. En 2011, leurs financeurs veulent la preuve que c’est bien leur action qui permet une « sortie positive » du jeune. L’association n’en sait rien « car le jeune fait plein d’autres choses à côté de ce que nous leur proposons ». L’association se tourne alors vers le fonds d’expérimentation pour la jeunesse qui, sous l’impulsion de Martin Hirsch, utilise des méthodes de randomisation remises au goût du jour par Esther Duflo, pour mesurer l’impact des politiques jeunesses.

Ces méthodes sont présentées au Sommet comme « le graal en terme de mesures d’impact ». Au réseau des groupements de créateurs, après cinq années de travail en partenariat avec Science Po et le laboratoire d’Esther Duflo, « il est démontré un impact net et positif de notre accompagnement » qui leur permet une reconnaissance, une structuration de leur méthode et de nouveaux arguments pour leurs financeurs et les structures partenaires. Un graal qui coûte très cher, sur le contrat à impact de développement sur l’hygiène menstruelle porté par Care en Ethiopie au budget global de 3 millions d’euros, cette méthode de randomisation coûte 500 000 euros. Pour le contrat à impact de Médecins du Monde, cette même méthode coûte 1 millions d’euros…

Reste une « petite » question soulignée par Cécile Campy-Bianco comme la « limite » de ces méthodes par randomisation pour mesurer l’impact, la nécessité de constituer un groupe témoin qui ne pourra bénéficier du programme : « Il faut expliquer à un jeune sur deux qu’il ne sera pas accompagné, c’est dur ». La question des droits humains fondamentaux semble à des années lumières de ces pratiques.

Autre méthode pour nourrir la mesure de l’impact : collecter les données avec le but de répondre à une question clé dans la mesure de l’impact : qu’est-ce qui se serait passé si nous n’avions pas aidé cette personne ? La monétisation permet ainsi de calculer le coût d’une non-intervention. Dans le contrat à impact des Apprentis d’Auteuil, co-construit par BNP Paribas, la banque s’est appuyée sur le coût d’un enfant placé : 60000 euros par an, c’est sur la base de ce coût évité que la mesure de l’impact du contrat a été construite.

Toutes ces méthodes nécessitent des données, certains pointent même le risque que le « reporting » des données prennent au final plus de place en ressources et en temps que l’action elle-même ! Ils rêvent de la caverne d’Ali-baba des données : l’accès à toutes les données publiques. « Open bar sur les statistiques publiques, c’est une mine d’or », lance Maha Kéramane, cheville ouvrière des contrats à impact social à la BNP Paribas, à la question de son souhait pour le développement des contrats à impact social.

Jean-Baptiste Talabot, directeur de l’action sociale à Malakoff Humanis dit avoir beaucoup de données mais souligne que la « contrainte réglementaire ne nous permet pas de les utiliser pleinement », c’est « un peu frustrant ». Il plaide pour une « grande ouverture » de toutes les données sociales nécessaires à la mesure d’impact. Pierre Alain Sarthou directeur générale la CNAPE, fédération nationale des associations de protection de l’enfance regrette, par exemple, que les données des cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) ne remontent pas et assure qu’ aujourd’hui « les travailleurs sociaux ne sont pas acculturés à remonter des données ». Personne ne vient questionner le droit des personnes sur leurs données personnelles ou ce que protègent ces « contraintes réglementaires » ou encore pourquoi les travailleurs sociaux ne remontent pas les données…

Le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combes, ancien de la Croix Rouge, est acquis à la cause de l’investissement à impact social. Lors du Sommet, il a rappelé qu’à la Croix Rouge, il a porté fortement cette approche et lancé notamment « un accélérateur d’innovation sociale ». A ses yeux, « la culture de la donnée et de la mesure permet de justifier et de financer des politiques publiques ». Pourtant, il reconnaît s’être beaucoup confronté avec une critique venue du terrain : les personnes lui disaient ne pas s’être engagée « pour faire remonter de la donnée ». Il promet que cela va changer.
« Créer la référence des fonds de fonds à impact », c’est la nouvelle ambition du groupe SOS qui s’associe avec le groupe de gestion d’actifs Magellim pour lancer « Impact Source » qui vise « a développer, sur la base de l’expertise du Groupe SOS, un référentiel unique d’évaluation de la pertinence des différentes stratégies d’investissement à impact », communique le Groupe. (qu’est-ce qu’un Fonds à impact ?)

Magellim est une société de gestion d’actifs immobilier qui s’est fortement développée en 2021 en reprenant d’autres sociétés d’investissement et deux sociétés de crowdfunding dont, par exemple, la société Proximéa, plateforme de crowdfunding qui, sur son site, assure financer une startup à impact qui va développer le premier label de l’investissement inclusif pour les femmes. La visite de ce site tourne à la mise en abime lorsque nous découvrons que ses crowdfunding vise à l’achat d’immeubles de bureaux mais aussi au financement d’une startup à impact qui propose de l’aide (payante) à de l’orientation scolaire.

La nouvelle structure « Impact source » assure vouloir « figer des critères objectifs d’impact » et remonter « des données fiables et sectorisées » pour lutter contre « l’impact washing ». Basé à Bordeaux, ce Fonds de fonds veut réunir 300 millions d’euro d’ici la mi-2024. Il sera dirigé par Guillaume-Olivier Doré, vice-président de French Tech Bordeaux et multi-entrepreneur. Ce fonds se veut également un acteur pour les fonds à impact européen et vise, selon le Journal des entreprises, un taux de rentabilité interne de 12 à 15%.
Le département du Nord s’apprête à lancer un contrat à impact social (CIS). Le 21 novembre dernier, ce projet était débattu lors d’une session du conseil départemental. La banque BNP Paribas, déjà présente sur une grande partie des contrats à impact actuellement en cours de structuration ou de mise en œuvre en France, investira 5,1 millions d’euros dans un projet de trois ans porté par l’association Positiv Planet. Cette association, lancée par l’économiste Jacques Attali, devra réaliser une étude sur les 6500 autoentrepreneurs actuellement au RSA pour évaluer si leur projet est viable ou non. Elle accompagnera également 1000 autoentrepreneurs ou allocataires du RSA vers la création d’une entreprise pour qu’ils sortent du RSA.

Lors de la délibération du projet, les élus écologiques du département ont dénoncé une « logique de financiarisation et de libéralisation du financement de l’action sociale ». Ils se sont appuyés sur un avis rendu en 2016 par le Haut conseil à la vie associative (HCVA) lors du lancement de ces contrats en France. Il pointait « les coûts de gestion importants de ces dispositifs ». « Jusqu’à ce jour, les investissements à impact social ont constitué des instruments coûteux. Ils ont comporté des coûts de transaction significatifs que les parties prenantes doivent prendre en considération avant de se lancer […] Il n’est pas évident que ces montages complexes qui visent à organiser autrement le financement de projets se révèlent profitables au final pour la collectivité ».

Enfin, les élus du groupe écologiste se déclarent « atterrés des réponses en commission concernant le montage financier », notamment sur l’absence d'information concernant les taux d’intérêt que l’investisseur obtiendra. Comme dans tous les CIS, cette donnée reste soit totalement inconnue, soit imprécise. Actuellement, en France ces taux de retour s’étaleraient de 3% à 6%. Dans un rapport remis en 2021 par le haut fonctionnaire Thomas Cazenave, qui avait pour mission de simplifier ces outils financiers pour mieux les déployer, il était proposé d’augmenter ces taux d’intérêt jusqu’à 10%...
Actuellement, ce contrat est dans sa phase de structuration, vue la durée de cette phase dans les autres contrats à impact, il semblerait que le lancement opérationnel du programme, annoncé par le département pour janvier 2023 soit très ambitieux. «Il n’est pas sérieux de nous demander d’engager le département pour un programme de 5,1 millions d’euros dans un montage exotique sans plus de précision », alertent les élus écologistes qui dénoncent une sorte de « dette cachée pour le département ». D’autant plus, soulignent-ils, qu’il existe déjà un programme d’accompagnement personnalisé de jeunes entrepreneurs, proposé par la chambre de commerce et d’industrie qui pourrait se renforcer par un volet insertion. « Pourquoi externaliser une mission de service public qui pourrait être exercée par le Département via nos tout nouveaux "coachs emploi" ? », questionnent les élus. Les trois groupes d’opposition, PS, PC, écologiste, ont voté contre cette partie de la délibération ce qui n’a pas suffit à la rejeter.
« La recherche maximale de profits est incompatible avec l’accompagnement de personnes vulnérables », dénonce enfin l’Uniopss dans un communiqué du 22 mai suite à « l’affaire Orpéa ». Il était temps qu’une grande tête de réseau se positionne fortement contre la marchandisation à l’œuvre depuis bien trop longtemps dans le secteur social et médico-social. Il demande au nouveau gouvernement un « arrêt de toute nouvelle habilitation ou tout nouvel agrément de structures lucratives » et le renforcement des contrôles existants sur l’utilisation de dotations publiques dans ce type de structures. Enfin, l’Uniopss souligne que « les agissement de quelques-uns ne doivent pas entrainer un sentiment de défiance généralisée alors que 80% de l’accueil en Ehpad est réalisé par des établissements publics ou privés non lucratifs ».
Sarah El Haïry, encore secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et de l’engagement, avait commandé un rapport à Suzanne Chami, déléguée générale de l’Institut de développement de l’éthique et de l’action pour la solidarité (Idéas), Philippe Bolo, député de Maine-et-Loire, Bernard Bazillon du cabinet KPMG et Philippe Da Costa de la Croix rouge. Leur mission ? Installer une « culture de l’évaluation » au sein du monde associatif et harmoniser les méthodes notamment en s’appuyant sur la mesure de l’impact social. Le rapport intitulé « Evaluation des actions associatives » est sorti ce mois d’avril 2022.
L’idéologie portée par les auteurs du rapport apparaît clairement dès les premières pages. Les associations sont « en retard » sur cette question d’évaluation par rapport aux méthodes du privé bien plus « efficaces ». Si les grandes associations « ont pris conscience de la nécessité de se doter de processus de reporting extra-financier. Malheureusement, elles n’ont pas atteint le même niveau de maturité (NDLR : que les entreprises ayant mis en place leur politique de RSE) en matière de mise en œuvre et d’efficacité opérationnelle ».

On l’avait compris, les associations sont définitivement has been, d’autant plus que « les entreprises, et en particulier celles du domaine de l’économie sociale et solidaire (ESS), s’insinuent désormais dans le périmètre d’activité des associations. En étant mieux armées en termes de pratiques évaluatives, le risque qu’elles distancent les associations devient un point de vigilance ». On leur rappelle que 80% du secteur de l’ESS sont des associations ? Mieux armées, c’est à dire ? « Le secteur associatif doit d’avantage s’investir dans le reporting et la qualification de ses actions ». Pourtant, curieusement, dans l’enquête envoyée dans le cadre de la réalisation de ce rapport aux associations, 84% des répondants disaient réaliser des évaluations de leurs actions… Peut-être n’est-ce pas les « bonnes » méthodes d’évaluation qu’elles utilisent ?

Le rapport met en effet particulièrement en avant la notion de mesure d’impact social qui impose « d’effectuer le diagnostic des besoins sociaux ; de démontrer la pertinence des actions en réponse à ces besoins ; de considérer les coûts évités – ce qui suppose l’accès à des données de nature sociétale, pas toujours aisé ». En somme, le modèle type des contrats à impact social… L’idée d’un référentiel unique pour l’évaluation du monde associatif est même avancée. Toutefois l’exercice est jugé trop difficile et le rapport préconise des référentiels sectoriels et un corpus de bonnes pratiques. Parmi elles, la méthode développée par Social Value France, centre de ressources et de plaidoyer pour l’évaluation de l’impact social, il réunit tous les acteurs qui depuis le départ défendent l’implantation et le développement des contrats à impact social en France. Surtout, ils diffusent cette financiarisation du social dans les discours, infusent cette notion de mesure d’impact social au point qu’elle semble désormais incontournable. Ce réseau national s’est affilié au réseau international, Social value International qui regroupent les réseaux de 45 pays et visent « à créer un mouvement commun pour le changement ».
Social Value France identifie donc « trois briques » dans cette évaluation présentée comme modèle : la formalisation de l’évaluation et des effets qu’elle se fixe ; la collecte des données régulières dans le temps long ; le travail d’étude et de recherche sur les coûts évités.

Le second exemple de bonnes pratiques est celui développé par l’ESSEC qui propose un MOOC gratuit pour se former sur la mesure de l’impact social. Ce MOOC pose le sujet sans contrepoint possible : « Dans le contexte économique actuel de restriction des ressources publiques, la mesure de l’impact social est devenue un pré-requis pour les associations et entreprises sociales ». Il avance plusieurs questions : « Pourquoi et comment mesurer son impact social ? Quels outils choisir, comment la mettre en œuvre et comment l’exploiter? Comment valoriser voire monétariser l’impact social ? Ces questions sont désormais cruciales pour toutes les structures œuvrant pour l’intérêt général ».

La mesure de l’impact semble donc incontournable et pourtant elle interroge en profondeur les relations entre les associations et leurs financeurs qu’ils soient publics ou privés. D’ailleurs le terme association tend à disparaître de ce paysage pour devenir un « porteur de projet », « une entreprise de l’ESS », un « opérateur social », un « entrepreneuriat social ». Le terme association paraît moins commode. Il renvoie à la notion de liberté associative, de transformation sociale, d’émancipation qui, sans doute, ne colle pas parfaitement à la mesure de l’impact social. Cette dernière exige en effet un « langage commun » entre « porteur de projet » et financeurs pour se mettre d’accord sur la mesure d’impact admise, sur les résultats attendus. Dès lors, elle place les associations en opérateur contrôlé par un référentiel d’indicateurs préétablis, à remplir, vérifier, comparer pour faire preuve de son impact. Un carcan rigide qui annihile toute velléité de revendications politiques et encore moins de désobéissance civile. Présentées comme neutres et utiles pour prouver l’efficacité des actions, ces méthodes de mesures d’impact sont en réalité une manière de brider les mouvements sociaux qui inquiètent le modèle économique dominant. « Mettre au pas les associations passe d’abord par l’imposition, indolore, progressive, d’une multiplicité de normes comme autant de camisoles qui resserrent l’étau du privé autour du milieu associatif », écrivait le CAC en 2017 dans sa lecture critique du rapport KPMG qui visait à faire « évoluer les modèles socio-économiques des associations ».

Par ailleurs, la mesure de l’impact impose aux associations des procédures extrêmement lourdes et couteuses. Dans un webinaire consacré à la mesure de l’impact social proposé par l’Avise le 7 juin dernier, deux associations racontaient leur expérience de ces évaluations. Elles expliquaient toutes les deux que c’était désormais un attendu des financeurs et que cela permettait de « faire la preuve de son utilité », « de rendre plus lisibles nos actions ». L ‘association Rev’elles qui accompagne depuis 2010 des jeunes filles de quartiers populaires pour qu’elles gagnent confiance en elles dans leurs démarches professionnelles annonçait qu’elle avait engagé 50 000 euros pour être suivie par le cabinet spécialisé Eexiste afin de mesurer son impact social. Ils avaient construit ensemble 25 indicateurs autour de trois axes, l’évaluation du rapport à soi, du rapport aux autres et de la projection dans l’avenir des jeunes filles accompagnées. L’Avise qui portait ce webinaire estimait à 15% du budget des projets la part qui devait être dédié à l’évaluation de l’impact social. L’association qui fait appel à un cabinet de conseil spécialisé doit compter a minima 15 000 euros pour financer ce travail.
La nécessité de ce passage présenté comme obligé n’est à aucun moment remis en question. Dans sa lecture critique du rapport KPMG de 2017, le Collectif des associations citoyennes analysait le glissement sémantique et politique entre la subvention publique et la commande, l’appel à projet qui tendait à faire des financeurs publics « des commerçants, acheteurs de prestations de services au mieux disant et au moins coûtant » comme l’écrivait Michel Chauvière dans Trop de gestion tue le social. Ce glissement pousse les associations à des logiques de concurrences et de regroupement. Désormais, ce nouveau rapport les entraine dans des méthodes de reporting, indicateurs de résultats, mesures d’impact calquées sur le modèle privé néolibéral toujours présenté comme bien plus « efficace ». Ne serait-il pas temps, à l’heure des retournements écologiques et sociaux, de s’interroger sur cette efficacité ?
Six centres franciliens de la Croix-Rouge sont sur le point d’être rachetés par le groupe Ramsay Santé, anciennement Générale de santé, devenue filiale du géant australien Ramsay Health Care, nous informe le Monde du 26 avril. La direction de la Croix-Rouge justifie cette vente au secteur privé lucratif par un déficit depuis plusieurs années. Et assure que Ramsay gardera un « statut associatif » à ces centres. Il serait toutefois étonnant que ce géant boursier, dont la valeur du capital est estimé à 14 milliards de dollars, accepte de maintenir longtemps une activité déficitaire. Maintiendront-ils des tarifs de secteur 1 ? Recevront-il les patients relevant de la CMU, de l’AME ? Continueront-ils à accueillir 62 000 patients dont 30% en situation de précarité comme ces centres le faisaient ? Rien n’est moins sûr.
D’autant plus que, coup de théâtre, Ramsay est sur le point d’être avalé par « un des fonds d’investissement les plus sulfureux de la planète », le fonds d’investissement américain KKR, nous informe l’Humanité du 6 mai. Ce fonds traîne une réputation qui lui a donné le surnom de « barbarians », les « barbares » aux Etats-Unis… « Peu porté sur la question sociale, KKR n’a aucun scrupule à dépecer des entreprises entières, licenciant des salariés par dizaines », écrit l’Humanité qui rappelle que ce Fonds s’appuie sur la technique du LBO (leveraged buy-out ou rachat par endettement). Il s’agit de racheter une entreprise avec un emprunt auprès d’une banque, de faire une restructuration à la hache avant de la revendre quelques années après « dans le but de réaliser une coquette plus-value », note l’Humanité.
Dans une tribune au Monde du 9 février, François Crémieux, directeur général des l’assistance publique-hôpitaux de Marseille dénonce la reprise des centres Croix Rouge par Ramsay et alerte sur le passage de ces centres dans « un autre monde » : « celui du capital, des excédents de l’année, du marché de la santé et des perspectives de « business ». Après le bilan de l’année 2021, le patron de Ramsay a même dû rassurer ses investisseurs inquiets : il serait le garant de la totale indépendance de l’entreprise face aux tentations interventionnistes des gouvernements, notamment en Europe ». Et s’alarme : « On ne peut observer sans débattre que des centres de santé de la Croix-Rouge française quittent le secteur associatif pour être repris par un groupe de santé privé ». Il ne signale pas que la Croix-Rouge s’engageait depuis plusieurs années vers le modèle de l’entrepreneuriat social. La vente de ces centres au privé participe pleinement de cette politique. En 2019, l’association avait notamment lancé 21, à Montrouge, en lieu avec Nexem, le Medef du social, un lieu de coworking dédié aux entrepreneurs sociaux, sorte d’incubateur de start-up du social. Avec pour ligne de mire de dénicher les futures « licornes » de l’innovation sociale…
Cette logique risque demain de voir ces centres engloutis dans un fonds d’investissement surnommé « les barbares », tout un symbole pour la Croix Rouge. Et un bel exemple des effets de la marchandisation…
Le 4 avril, l’association des assistants de services sociaux (Anas) publiait une déclaration dans laquelle elle demande aux pouvoirs publics de se mobiliser pour faire cesser l’activité de l’entreprise « mes-allocs.fr » et de toutes celles similaires. L’association des assistants de services sociaux (ANAS) a déposé plainte contre cette plateforme qui existe depuis trois ans, fondée par un jeune commercial, Joseph Terzikhan, passé par des banques d’investissement, puis par la Tech en Asie. Il a notamment travaillé pour Lazada, l’équivalent asiatique d’Amazon, racheté par Ali-baba. Revenu d’Asie en France, il explique dans un entretien en ligne qu’il a voulu monter son projet en cherchant « un impact social » et suite à des expériences personnelles, il s’est aperçu qu’il était très difficile d’accéder à ses droits, donc il a voulu faire de « l’optimisation sociale ». Il a, explique-t-il, « scanné le marché de l’aide » pour créer un algorythme qui « permet en deux minutes d’avoir une estimation des aides ». « mes-allocs.fr » se présente comme un simulateur de droits sociaux mais aussi comme un « coach de vie ». « Il est proposé aux internautes de renseigner une multitude de données personnelles pour estimer un potentiel droit à une ou plusieurs prestations sociales. Dans un second temps, le site propose à l’utilisateur que ses « experts » réalisent le remplissage et l’envoi de formulaires d’accès à ces mêmes prestations en contrepartie de frais d’inscription et d’un abonnement de 29,90 euros par trimestre », dénonce l’Anas. L’association estime que l’accès au système de protection sociale doit rester gratuit. En s’appuyant sur tout un travail de recherche, elle a établi le caractère illégale de cette pratique et déposé plainte auprès de la procureure de la République à Evry.
Le 17 mars, deux nouveaux contrats d’impact social étaient signés. Pour être plus précise, deux protocoles d’engagement étaient signés, car il est une autre spécificité des ces CIS rarement souligné : il ne s’agit pas d’un seul contrat signé mais de multiples contrats à signer au cours de plusieurs étapes, le protocole d’engagement de l’Etat en est un.

La secrétaire d’Etat Olivia Grégoire a, une nouvelle fois, rappelé que ces contrats ont failli, « faute d’impulsion politique », rester comme « une belle parenthèse expérimentale » avant son arrivée. De cette manière, elle indique que sans un fort portage politique, il est possible que ces contrats qui sont quand même de belles usines à gaz, retombent dans l’oubli et que d’autres outils prennent le relais pour tenter appliquer le principe de l’investissement à impact social.
Depuis lors, en un an et demi, 18 projets ont été sélectionnés pour un total qui dépasse les 60 millions d’euros. Au delà des deux nouvelles signatures, la secrétaire d’Etat a également annoncé les cinq nouveaux lauréats du dernier appel à manifestation d’intérêt : « innover pour l’accès à l’emploi » lancé en mars 2021, cette fois pour un total de 13 millions d’euros.

Les lauréats sont : Article 1, déjà bénéficiaire du premier appel à projet de 2016, ClubHouse , accompagne des personnes avec un trouble psy dans leur parcours professionnel, Moovjee Talents, accompagne des jeunes à trouver un emploi durable et à le garder dans les premiers mois… Les Eaux Vives Emmaüs, insertion durable dans l’emploi des personnes en souffrance psy et enfin Gojob, lutte contre les discriminations à l’embauche des jeunes. Une fois encore, toutes ces associations (à part peut-être Emmaüs, à voir) se présentent comme de l’entrepreneuriat social.

Ces lauréats doivent maintenant travailler avec leurs investisseurs et leurs structurateurs pour arriver au stade de la signature du protocole d’engagement qui avait donc lieu ce 17 mars pour Envie autonomie et Comme les autres. Le premier réemploie des dispositifs médicaux (type fauteuils roulants récupérés) dans une logique d’économie circulaire, le CIS doit lui permettre de « passer à l’échelle » nationale. Pour l’instant, il développe cette activité dans 12 départements. Pour cela, il obtient 5,5 millions d’euros pour 5 ans. Nous n’avons pour l’instant pas les infos sur les objectifs fixés, ni, bien sûr, sur les taux d’intérêts des investisseurs.

Le deuxième, Comme les autres, est une association (son fondateur, Jonathan Jérémiasz est un ancien président du Mouves) veut « lever les freins à l’emploi » des personnes handicapées par le sport, les sensations fortes et le mentorat. Ils souligne lors de cette signature n'avoir "jamais été autant challengé que par les hauts fonctionnaires de Bercy qui depuis des mois nous interroge sur notre utilité sociale et nos mesures d'impact". Il a beaucoup aimé qu'on lui demande : "à quoi vous servez vraiment ?" pour "négocier les mesures de paiement aux résultats". D'ailleurs, il a déjà "prévenu ses troupes" et "modifier ses pratiques" pour mieux coller aux mesures. Objectif du CIS : accompagner 500 personnes sur 3 ans dans deux régions, Grand Ouest et Haut de France, avec un budget de 4,5 millions d’euros. Là encore pas plus d’infos pour l’instant sur les objectifs ni sur le taux d’intérêt.

Dans ces deux CIS, BNP Paribas est à la fois structurateur et investisseur (comme pour la plupart des CIS), mais il y a beaucoup d’autres investisseurs : la Banque des Territoires, BNP Paribas Asset Management, le Fonds Européen d’Investissement, AG2R La Mondiale, Malakoff Humanis, INCO Invest (fondé par Nicolas Hazard, longtemps vice-président du groupe sos voir notre débat à la clef), Generali Investissement à Impact, SYCOMORE Impact Emploi, Sham (groupe Relyens), Esfin Gestion ou encore Abeille Impact Investing France. Un nombre impressionnant, rarement atteint dans les précédents CIS.
Le 2 mars, Thomas Cazenave a rendu son rapport intitulé propositions pour le développement des contrats à impact en France à la secrétaire d’Etat, Olivia Grégoire.

Elle avait donné pour mission à ce haut fonctionnaire de lui donner des pistes pour « massifier » les contrats à impact en France. Passé par Orange et Pole emploi, puis directeur adjoint de cabinet d’Emmanuel Macron lorsqu’il était au ministère de l’Economie, Thomas Cazenave s’occupe désormais de la campagne d’Emmanuel Macron où il est en charge d’un groupe de travail sur la réorganisations des administrations.
Son rapport répète ce qui avait déjà été soulevé lors du premier rapport Lavenir en 2019 : « Opération longue », « grande complexité », « peu de valeur ajoutée en comparaison d’autres outils comme la subvention », le CI « pose de nombreuses difficultés : traitement budgétaire et comptable complexe, déficit de notoriété, absence de portage par l’administration, manque de réflexion sur l’issue du CI ». Il souligne aussi que les départements s’emparent peu du dispositif (seul deux département Loire-Atlantique et Gironde sont tiers payeurs dans le CI des Apprentis d’Auteuil, sinon les autres sont garantis par l’Etat). Quand ça veut pas, ça veut pas…

Mais hors de question de lâcher l’affaire, Olivia Grégoire parle d’ailleurs de sa « grande tendresse » pour ces outils. Elle indique laisser en vue de son proche départ en raison des présidentielles, une « maison bien rangée » : 15 contrats à impact pour un montant global de 50 millions d’euros et un rapport « très important pour structurer l’avenir des contrats à impact ». Elle souhaite les voir intégrer comme des outils ordinaires de l’action publique.

Avant son départ, elle signera deux nouveaux contrats à impact le 17 mars (voir l'info). Elle espère en outre que les CI ne seront pas victime des changements politiques en soulignant qu’avant sa volonté de les relancer en 2020, leur existence a « failli ressembler à une parenthèse expérimentale ». Elle trouve intéressant le « combat culturel » qu’elle dit avoir mené avec les acteurs associatifs de « l’écosystème » sur cette logique d’impact.

Le rapport fait cinq propositions pour tenter de relancer cet « outil innovant de transformation de l’action et des politiques publiques ». Thomas Cazenave dit que sa boussole était de « faire changer d’échelle » les contrats à impact. (La fixation sur les échelles mériterait une thèse…) Il assure avoir la conviction que c’est un bon outil mais que « le chemin est drôlement escarpé, oui c’est difficile, long et compliqué » mais « théoriser les nouvelles formes de capitalisme et essayer de les faire vivre, c’est compliqué ».

Il propose donc de :
1 – « mieux installer les CI dans le paysage public et administratif ». Le rapport envisage la création d’une équipe interministérielle dédiée pour accompagner les projets mais aussi promouvoir et « faire de la pédagogie » auprès des différents acteurs. Ils veulent aussi augmenter la fréquence des appels à manifestation d’intérêts et proposent « une ligne dédiée » au CI dans le budget de l’Etat.

2 – « Stimuler et structurer les fonctions d’évaluateur et de structurateur des CI », notamment en lançant des appels d’offre pour créer un « vivier » de ces acteurs là.

3 – « Privilégier des projets plus risqués mais avec plus de potentiels de transformation pour la puissance publique ». En clair, rendre possible une hausse des rémunérations des investisseurs pour les attirer… la fourchette envisagée va de 8% à 10% d’intérêts ce qui laisse supposer que jusque là on était, comme on l’imaginait, autour de 4% à 6% d’intérêts, ce qui n’était déjà vraiment pas mal ! (par comparaison il faut voir que les placements en bourse ont, en moyenne, des intérêts à 8,5%)

4 – Simplifier le dispositif
Une recommandation qui passe de rapports en rapports, pour « lever les freins et barrières », notamment par exemple en sortant du principe de l’émission obligataire que les associations lauréates doivent faire aujourd’hui mais en utilisant une technique de « cession de créances » c'est à dire promettre à l’investisseur le versement d’une subvention ( !) en fonction de l’atteinte des résultats. C’est une technique qui est testée aujourd’hui par le CI de MDM décidément très « innovant » en la matière. Par ailleurs, pour les associations qui passeraient toujours par l’émission obligataire, il s’agirait de leur « faciliter » l’enregistrement au registre des commerces et société.

5 – attirer le secteur philanthropique sur les CI pour qu’il devienne un investisseur potentiel alors qu’il est pour l’instant peu engagé, actuellement seul le CI d’Article 1 compte une fondation (Fond B) en tant que tiers payeurs et 4 dans lesquels des fondations étaient engagées comme investisseurs. Et puis imaginer de nouveaux outils financiers proches des Sustainability linked bond (il va nous falloir des experts en finance pour décrypter cela, avis aux amateurs…)

Le rapport va très loin dans la question des retours sur investissements puisqu’il avance l’exemple à l’étranger de taux de retours qui peuvent aller jusqu’à 20% de l’investissement initial ! J’interroge : est-ce que ce sont des taux envisagés en France ? Réponse de Thomas Cazenave : « L’objectif du rapport est de poser cette question là », Il explique : on ne peut pas demander à des investisseurs de prendre des risques sans lui proposer une rentabilité à la hauteur de ces risques. « Actuellement, les CI ont un faible rendement donc un faible risque ». Le rapport indique que le « taux de rentabilité interne maximum observé sur les CI français se situe autour de 4,5% ».
Olivia Grégoire répond à son tour : « Si on veut attirer des investisseurs et pour qu’ils mettent des tickets plus gros de 20, 30, 50 millions d’euros pour adresser des pans de politiques publiques, alors il faut qu’on se pose cette question du rendement en se départissant de certains a priori intellectuel ». Elle ajoute : « 20 %, c’est une idée, une proposition, cela peut être un horizon ». Et souhaite : « qu’on se départisse des considérations un peu morales sur cet enjeu de rendement ». (sic)

« L’Etat est patouf pour répondre à certains enjeux sociaux », pense la secrétaire d’Etat. Le privé peut mieux y répondre et « on attire pas les mouches avec du vinaigre », conclut la secrétaire d’Etat. Le rapport propose lui des rendements de l’ordre de 8% à 10% par an. Il décomplexe donc complètement cette question. En 2016, lors du premier appel à projet pour les CIS lancé par Martine Pinville, alors secrétaire d’Etat à l’économie sociale et solidaire, elle jurait que jamais au grand jamais la France ne ferait grimper les intérêts comme ailleurs à l’étranger puisque l’objectif des CIS n’était en aucun cas le profit… Désormais, l’affaire est entendue et assumée.
Le 17 février, une conférence réunissait Nicolas Schmit, commissaire européen responsable de l’emploi et des droits sociaux, et la secrétaire d’Etat chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire.
Ils ouvraient une table ronde entre 23 ministres de l’UE réunit pour « une première historique », selon eux : discuter ensemble de l’économie sociale et « amplifier la dynamique » du plan d’action, construit par Nicolas Schmit, pour l’économie sociale.
Dix ans après l’initiative du business social ( « Social Business Initiative ») premier plan d’action de la commission européenne pour soutenir les entreprises sociales en Europe, la commission a publié le 9 décembre 2021 un nouveau plan d’action.
Entendre derrière l’économie sociale, l’économie sociale et solidaire mais le solidaire a sauté… et surtout l’accent est porté sur l’entrepreneuriat social. Olivia Grégoire a ouvert la séquence avec un : « Bienvenue à tous les entrepreneurs sociaux qui se connectent ! »
Leur plan d’action couvre les 8 prochaines années et à trois priorités :
1 - il veut « créer un cadre propice à l’essor de l’économie sociale », mieux la prendre en compte les besoins de l’économie sociale dans les politiques publiques : marchés publics, aides d’Etat, fiscalité mais aussi les politiques de santé, éducation, d’emploi, de protection de l’environnement. La commission prépare en ce sens une recommandation pour 2023 pour une politique de soutien à l’économie sociale.
2- « Développer des outils pour renforcer les capacités des acteurs de terrain », notamment en proposant de « nouveaux produits financiers » en 2022 via Invest UE (le programme de financement face à la crise Covid) pour mobiliser davantage de financement, y compris des financements privés. Il veut promouvoir, enfin, la mesure de l’impact social mais pour cela il faut élaborer des « méthodes simples » et Nicolas Schmit ajoute qu’il sait que c’est une des priorités d’Olivia Grégoire.
3 – Aider à une meilleure reconnaissance de l’économie sociale en aidant les activités de recherches, la collecte de données, de communication…
Enfin, le plan d’action pose des critères clairs pour définir l’économie sociale au niveau européen parce que « la confusion autour des différents concepts freinent la reconnaissance institutionnelle mais aussi les possibilités d’actions dans le marché intérieur ».

Le dispositif de présentation prévoyait ensuite que le commissaire et la ministre soient interpellés par 11 entrepreneurs sociaux partout en Europe. Celui de Grèce a demandé de déverrouiller les freins qui empêchaient les entreprises sociales d’être perçues comme des start-up… Représentant la France, il y avait Jeanne Brétécher, entrepreneuse sociale et fondatrice de l’association Social good Accelerator qui promeut le développement des Social Tech. Autre entrepreneur social : la Croix rouge…

Pour la Belgique, l’association Duo for a Job, qui est un des défenseurs farouches des contrats à impact et qui porte un contrat en Belgique et vient d’en signer un en France. Il a demandé a lever les « barrières » pour les contrats à impact : les contraintes juridiques, les coûts de mises en œuvre, des problématiques d’accès aux données… « Comment faire en sorte que ces nouveaux mécanismes de financement soient plus accessibles ? »
A la question, Olivia Grégoire répond : « Nicolas Schmit connaît ma passion pour les contrats à impact », elle souligne leur « efficacité pour engendrer de nouveau modèle » et dit que ces 18 derniers mois, 50 millions d’euros de CIS ont été signé en France. « Il faut les rependre aux quatre coins de l’Europe ».
Nicolas Schmit semble d’accord et veut les développer dans le cadre du fonds pour l’investissement stratégique européen avec semble-t-il (quand même) un bémol : la question de la mesure de l’impact : « il faut développer une méthodologie normalisé très simple, nous avons besoin d’une méthode ».
Il y a eu quand même une entrepreneuse sociale venue d’Espagne qui a demandé au commissaire comment éviter les fonds privés qui cherchent un intérêt spéculatif ? La question a été ignorée et est restée sans réponse…
Ce 9 février, le livre blanc pour promouvoir la finance à impact social est sorti, présenté par Fair (ex Finasol et IIlab fusionnés) en partenariat avec la Maif.
Le paysage est posé par la journaliste – aussi entrepreneuse sociale - qui anime le débat : « Aujourd’hui, la finance solidaire marque une hausse de 140% d’encours en 5 ans, représente plus d’un million de souscripteurs, la demande en finance verte, finance sociale doit être entendue ».
Constat confirmé par Frédéric Tiberghien, président de Fair : « Nous sommes sur un segment à extrêmement forte croissance ». La Banque de France rappelle que l’ESS est « le secteur qui croie le plus vite en terme d’octroi de crédit, plus de 7% par an depuis 2007 alors que la moyenne nationale est à 4,2 % et pour les PME à 5,4% ».

Ils présentent aujourd’hui un nouveau livre blanc pour peser sur les pouvoirs publics pour « pouvoir croitre encore plus dans les prochaines années ». Ils demandent un « coup de pouce » pour « aller plus vite » et répondre aux besoins sans plus tarder. Il assure vouloir faire de l’épargnant « quelqu’un qui à le souci de la performance de son épargne, c’est naturel, mais aussi qui a une préoccupation citoyenne : je veux que mon épargne serve le bien commun, je veux que mon épargne aille dans le sens de la finance à impact social ».

Ils avancent 10 propositions, notamment :
La demande de lever « des dispositions réglementaires qui empêchent les investisseurs institutionnels à financer les entreprises à forte utilité sociale ».
Créer de meilleures garanties publiques qui couvriraient les premières pertes pour garantir les risques tant au niveau français qu’européen. Eviter en clair tous risques pour les investisseurs.
Créer un fonds de conversion à l’économie sociale et solidaire pour que des entreprises privées lucratives puissent devenir des entreprises de l’ESS.
Mettre en place une nouvelle comptabilité sociale et environnementale
Déployer les contrats à impact (on ne dit plus contrats à impact social) « pour favoriser l’innovation sociale ».
Sur ce dernier point, ils reconnaissent avoir un problème sur le manque d’instruments de mesures, notamment sur le volet social, « ils ont du mal à aboutir », explique Hélène N’Diaye, DG de la Maif. Un travail est en train de se faire au niveau européen qui devrait aboutir en juin prochain dans la lignée de la taxonomie européenne déjà mise en place depuis 2020 sur le volet écologie pour les investissements « verts ». « Ce travail se heurte à des considérations politiques, par exemple, est-ce que le nucléaire est écologique ou pas ? », ajoute Hélène N’Diaye. La taxonomie verte a finalement décidé que oui…

Frédéric Tibergheim assure une nouvelle fois que ces CI ne sont pas là pour se substituer aux subventions classiques pour les associations mais pour « prendre des risques, tester de nouvelles méthodes pour régler un certains nombres de problématiques sociales ». Il souhaite impliquer d’avantage les collectivités territoriales mais se réjouit du fort appui du gouvernement actuel. « La France est désormais le troisième pays au monde qui utilise le plus ces contrats », en terme de volume d’investissement, selon le livre blanc, actuellement 21 millions sont investis dans les 11 contrats signés et 45 millions iront dans les 14 CIS en cours de structuration.
Son « rêve » : « C’est que cela devienne un jour une classe d’actifs pour des investisseurs institutionnels pour mieux financer l’innovation sociale ». Ensuite, une fois testée, il faut la diffuser, changer d’échelle, et donc « il faut créer un fonds de paiement aux résultats co-financé avec les collectivités territoriales pour pouvoir les diffuser l’innovation une fois qu’elle a fait ses preuves ».

Parce que l’un des souci, c’est la question du devenir des projets une fois le temps du contrat à impact écoulé. C’est ce qu’explique le responsable de l’Adie, porteur du premier CIS qui arrive à terme en 2022. Il assure que le projet a réussi à insérer durablement 300 personnes, fait la preuve qu’il marche mais maintenant il faut le pérenniser et le déployer donc trouver des subventions… retour à la case départ. Car le futur des CIS, une fois que les investisseurs ont récupéré leurs billes… et leurs intérêts, ce sont les subventions. Beau final !