Foire aux questions


Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les contrats à impact social, sans jamais oser le demander...


Le contrat à impact social, désormais intitulé contrat à impact, ou investissement à impact social permet à des investisseurs privés de placer de l'argent dans une action sociale portée par une association avec taux de retour prévu en fonction d'objectifs fixés et vérifiés par des mesures d'impact. L'investissement initial et le taux d'intérêt sont payés au final par la puissance publique ( Etat ou collectivité) une fois les objectifs atteints. La notion d'intérêt général s'efface au profit d'intérêts privés et de rentabilité aux dépends des finances publiques. Ces mécanismes aspirent les finances publiques au profit du secteur financier privé.
Un structurateur du contrat à impact social place autour de la table les représentants de l'Etat, des ministères concernés, les investisseurs et l'association pour établir le contrat, définir notamment les mesures d'impact social qui évaluent les objectifs à atteindre, les schémas d'évaluation et définissent les taux de retours sur investissement voire les bonus en cas de dépassement de ces objectifs. Il définit également les produits financiers (obligations, titres, patrimoine fiduciaire...) au service du contrat. Une fois tous ces éléments définis (ce qui peut durer longtemps, parfois plusieurs années), le contrat est signé entre les trois parties Etat (ou collectivité) - investisseurs et association ; l'investisseur avance la somme à l'association via un véhicule financier (habituellement des émissions obligataires), l'association met en place l'action cadrée par des mesures d'impact à echéances régulières. Un évaluateur vérifie, une fois l'action réalisée, que les objectifs définis ont bien été atteints. Si c'est le cas, l'Etat ou la collectivité remboursent la somme investie avec les taux d'intérêt. Impossible d'avoir l'information précise sur ces taux d'intérêts en France qui restent non publics. Ils tournent, selon différents interlocuteurs, autour de 4 à 6% par an, en Angleterre, ils ont pu monter jusqu'à 13% par an, le dernier rapport Cazenave sorti en mars 2022 envisage d'augmenter ces taux de retours jusqu'à 10% en France pour attirer plus d'investisseurs voire jusqu'à 20% envisagés comme "un horizon", selon les terme de la Secrétaire d'Etat à l'économie social, solidaire et responsable Olivia Grégoire. Les coûts du structurateur et de l'évaluateur entrent bien sûr dans le coût final remboursé par la puissance publique.
Les contrats à impact social arrivent en France via le rapport sur « //l’investissement à impact social// », remis le 25 septembre 2014 à Mme Carole Delga, secrétaire d’État chargée de l’Economie sociale et solidaire (ESS) par Hugues Sibille, vice-président du Crédit Coopératif et président du « Comité consultatif national sur l’investissement à impact social ». Ce Comité s’inscrit dans un mouvement plus vaste, initié en juin 2013 par le G8 (les gouvernements des huit Etats les plus riches du monde : Etats-Unis, Chine, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie + Russie) à l’initiative de David Cameron (chef du gouvernement du Royaume-Uni qui présidait, en 2013, le G8). Le 6 juin 2013 est créée au sein du G8 une task force dédiée à l'investissement à impact social. Elle se décline en huit conseils consultatifs nationaux et un conseil consultatif européen. Le comité consultatif français produit le rapport porté par Hugues Sibille.
Les contrats à impact social ont vu le jour en 2010 au Royaume-Uni sous le nom de Social impact bond (SIB), sous l’impulsion de la banque d’investissement Social Finance qui lance le premier SIB dans le prison de Petersborough, un programme qui se donnait pour objectif de faire baisser la récidive des sortants de prison, du taux de réduction dépendait le versement des dividendes aux investisseurs. Ces contrats naissent d'un processus qui démarre en avril 2000 avec la mise en place par le chancelier d'alors, Gordon Brown, d'une Social Investment Task Force, groupe de travail sur l'investissement social pour utiliser l'argent du Trésor anglais dans des produits qui allient à la fois impact social et retours financiers. Ce groupe de travail est alors dirigé par le financier Sir Ronald Cohen, venu du capital risque, le père des contrats à impact social, pour lui l'investissement social est "le coeur invisible des marchés qui guide la main invisible". Il dirige la banque d'investissement Social Finance qui lance le premier SIB en 2010 et co-fonde, en 2011, le groupe « Big society Capital » qui compte alors 234 millions d’euros de capitaux propres et 468 millions d’euros issus des actifs sans mouvement. Dès lors, les SIB émergent rapidement en Grande-Bretagne et aux USA, des pays où la notion d’intérêt général passe derrière l’initiative économique, où l’intervention des pouvoirs publics dans le financement de l’intérêt général reste limitée. Depuis 2011, ces contrats ont été testés notamment en Australie, au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Irlande, au total 138 contrats étaient engagés dans le monde en 2021 dans les domaines de la réinsertion, de l'hébergement des personnes sans abri, de la protection de l'enfance, de l'emploi... Parmi les groupes financiers impliqués dans les SIB, on trouve par exemple Goldmann Sachs, qui finance des services pour les SDF à New York... et se présente comme le pionnier des SIB (voir sur son site)
Il s’agit, ni plus ni moins, de contribuer au démantèlement de l’Etat providence, tout en offrant un nouveau visage à un capitalisme financier de plus en plus décrié. Dans son discours de présentation, le président de la Task force européenne, Sir Ronald Cohen, a placé ce projet sous le signe de la « révolution entrepreneuriale »: «Aujourd’hui, les Etats providence conçus pour le XXe siècle baissent les bras dans la lutte contre les défis sociaux de ce nouveaux siècle. (...). Nous sommes désormais à l’aube d’une révolution sociale. Une vague d’entreprenariat social succède à la vague d’entreprenariat lucratif. »Par ailleurs, la Commission européenne dans son « Paquet investissement social » publié en février 2013, et dans la programmation FSE 2014-2020, invite les États membres à « moderniser leurs systèmes de protection sociale » c’est-à-dire les privatiser,et dans ce cadre les invite à étudier l’utilisation des obligations à impact social (voir ici).
A ce jour, il existe très peu de contrats à impact social qui soient arrivés à terme. L'expérience de la prison de Peterborough au Royaume-Uni, premier contrat à impact social à avoir été mis en oeuvre au monde, revient dans beaucoup de présentations. Initialement prévu pour durer 7 ans, ce contrat porté par Social Finance a finalement été arrêté en 2015 en raison, semble-t-il, de l'entrée d'un programme d'Etat destiné à ce public qui venait doubler ce contrat... Ce programme de 6 millions d’euros visait à réduire le taux de récidive des personnes sortant de prison après une courte peine, moins de 12 mois de prison. Le programme était décliné sur trois cohortes de 1000 détenus, le paiement au résultat était déclenché si la baisse était au minimum de 10% pour une des trois cohortes ou supérieure, à la fin du programme, à 7,5% sur l'ensemble des cohortes. Le paiement des 17 investisseurs s'échelonnaient avec des intérêts de 2% à 13% remboursés par le ministère de la Justice et le Fonds de la Loterie nationale. Sept associations étaient impliquées dans le programme réunies dans un "consortium" appelé One Service. Il ressort de ce premier SIB, outre le taux très élevé de retour sur investissement et donc de coût pour la puissance publique, la lourdeur de la démarche - chaque cohorte devait être comparées avec un groupe témoin de 10 000 détenus de courtes peines qui ne bénéficiaient pas du programme pour pouvoir comparer les taux de récidive, le contrat s'appuyait sur la méthode appelée d'appariement sur score de propension -, le coût très important de la mise en oeuvre et de l'évaluation - qui n'ont pas été rendus public- et la place centrale du financeur Social Finance qui a réuni les 7 associations appelées à mettre en oeuvre le projet. Par ailleurs, l'objectif était fixé sur le calcul d'un taux de récidive observé pendant les 12 mois suivant la sortie de prison, peu importe ce que devenait les personnes ensuite et si le programme d'accompagnement proposé leur permettait de se projeter au-delà de ces 12 mois. Une question se pose aussi sur l'utilisation des données récoltées pour constituer les groupes témoins, au final un fichier de 31114 détenus de tout le Royaume-uni a été constitué. Surtout, l'étude de cas réalisée en 2017 par IIlab et Avise, promoteurs de l'investissement à impact, précise qu'il ne répond pas à une question pourtant centrale si le pouvoir souhaite étendre le dispositif : "pourquoi et comment ce programme a-t-il fait baisser le taux de récidive des bénéficiaires ?" D'ailleurs, l'a-t-il fait baisser ? Cette même étude de cas révèle que dans une des cohorte analysée, le taux de récidive, défini par le taux de condamnations, a été de 1,42 condamnation par personne, 12 mois après sa sortie de prison, pour 1,55 condamnation par personne pour le groupe témoin... Pas flagrant comme réussite ! Par ailleurs, le bilan publié par le ministre de la Justice anglais sur ce SIB souligne que les personnes suivies dans le cadre de ce programme étaient toutes enthousiastes sur leur expérience (évidemment, un suivi intensif par 7 associations cela change des sorties sèches), en revanche il souligne aussi que si le suivi a été dense les premiers mois, il ne restait plus qu'une personne sur cinq en lien avec One Service après trois mois de programme...
Le dispositif est présenté comme un remède à la contraction des financements publics et comme un moyen de financer de l'innovation sociale. Mais il ne ne permet en rien de faire des économies ! Les investisseurs privés avancent temporairement à la puissance publique les moyens de mener à bien l'action ciblée, mais l’État ou la collectivité doit ensuite rembourser ces sommes avec un taux d’intérêt qui peut atteindre, à l'étranger pour l'instant, 20% par an. Avec un tel taux d’intérêt, une action menée sur 5 ans coûte plus du double à l'Etat ! Par ailleurs, le budget intègre les coûts des intermédiaires financiers, des évaluateurs et structurateurs. Pour l’investisseur, il s’agit d’un rapport très intéressant... avec, à l’arrivée, un véritable pillage du Trésor public. D'ailleurs, le ministère de la Justice anglais ne s'y trompe pas dans le bilan du premier contrat de Peterborough. Il s'interroge : "les coûts d'élaboration et de mises en oeuvre des SIB pourraient l'emporter sur les économies réalisées grâce aux résultats des programmes", les fameux coûts évités qui justifient aujourd'hui beaucoup de ces contrats. Et il ajoute : "La question se pose de savoir si les ressources utilisées pour financer ces SIB ne seraient pas mieux dépensées en utilisant d'autres approches".... comme les subventions par exemple ?

Ce modèle est le même que celui des partenariats public-privé (PPP) déjà à l’œuvre dans le domaine du BTP et désignés, par un rapport du Sénat, comme «une bombe à retardement pour les finances publiques». Il s’agit donc, une fois de plus, d’une « solution » à très court terme : le coût pour la collectivité empêchera mécaniquement de nouvelles actions ou même de poursuite des actions déjà entreprises dans la durée : le mécanisme ne fonctionne qu’à son démarrage en hypothéquant l’avenir ! Même du simple point de vue comptable, « l’économie » est tout aussi discutable car la puissance publique, face à l’incertitude concernant le fait de savoir si oui ou non elle va devoir payer (atteinte ou non de l’objectif), doit provisionner le capital plus les intérêts. Au final, la dépense est toujours présente, avec, pour l’État, des contraintes budgétaires supplémentaires...

Les promoteurs du projet et le gouvernement affirment que ce type de financement vise des champs qui sont peu ou pas financés par les fonds publics, en s'appuyant notamment sur la notion d'innovation. D’après eux, il ne remet pas en cause les modes de financement traditionnels, les contrats à impact social sont un financement qui vient "compléter" les autres financements existants. Leur promotion au niveau de la commission européenne indique pourtant la très forte volonté de développer ces nouveaux outils de financement, le 9 décembre 2021 la commission européenne a adopter un nouveau plan d'action pour l'économie sociale qui veut, entre autres, « développer des outils pour renforcer les capacités des acteurs de terrain », notamment en proposant de « nouveaux produits financiers » en 2022 via Invest UE (le programme de financement face à la crise Covid) pour mobiliser davantage de financement, y compris des financements privés. Il veut promouvoir, enfin, la mesure de l’impact social mais pour cela il faut élaborer des « méthodes simples ». Dans ces nouveaux outils financiers figurent les contrats à impact social auxquels la secrétaire d'Etat chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire assure éprouver "une passion" et dont elle veut "massifier" l'emploi en France mais aussi en Europe.
Comment peut-on imaginer un seul instant que l’émergence de ce dispositif va préserver le niveau des autres financements ? À l’évidence, il s’agit d’un transfert. Mais il ne s’agit en aucune façon d’une substitution à l’identique: seules les structures les plus importantes seront capables de souscrire aux critères et aux méthodes imposées par les CIS. C’est clairement ce qui s’est passé dans le cadre des partenariats public-privé (PPP) mis en place, à partir de 2004 dans le domaine de la construction : le rapport du Sénat de 2014 souligne que ce type de contrats entraîne mécaniquement une éviction des petites structures ! La mise en place de CIS conduira à l’abandon de pans entiers de l’action associative qui ne seront plus financés... C’est pourquoi les petites et moyennes associations doivent se préoccuper de l’émergence du dispositif, même si elles ne figurent pas parmi les « clients » potentiels des CIS.

Le dispositif proposé s'approche de celui des partenariats public-privé (PPP) mis en place pour les investissements de l’État et des collectivités depuis 2004. Le rapport sénatorial « Les contrats de partenariat : des bombes à retardement? » fait le point sur les PPP après dix ans d’application. Soulignant que « cet outil d’inspiration britannique était à l’origine un outil dérogatoire à la commande publique »,ce rapport montre que « cette formule a priori séduisante constitue un outil à haut risque pour la puissance publique ». Les principales observations éclairent les dérives possibles des contrats à impact :

- l’évaluation préalable, par définition, ne peut être crédible: il ne s’agit que d’une projection élaborée à partir de données connues au moment ou elle est faite... Cette difficulté porte également sur le coût réel d’un contrat de partenariat;-ce dispositif comporte un double risque de rigidification et d’éviction pour les budgets des personnes publiques: en effet, les contrats sont signés pour des périodes longues, ce qui veut dire que la part « rigide » des dépenses publiques des administrations publiques s’en trouve accrue pour des années, voire des décennies, quelle que soit l’évolution des besoins ou de la conjoncture. Pour les collectivités territoriales, notamment, qui ne peuvent recourir à l’emprunt pour équilibrer leur budget de fonctionnement, cela veut dire que leur budget de fonctionnement sera plombé par le paiement de la redevance (les contrats de partenariat sont financés sur le budget de fonctionnement et non d’investissement). Des collectivité sont ainsi été amenées à rogner sur les budgets d’entretien et maintenance des équipements publics... ;

- les contrats sont dissymétriques, la grande majorité des co-signataires (associations, collectivités locales...) n’ayant pas les compétences appropriées, notamment du point du vue du droit commercial;

- ce type de contrat entraîne une éviction des PME et des petites entreprises. Les contrats de partenariat sont captés par des oligopoles, les petites structures sont réduites à des fonctions de sous-traitance;

- le mécanisme entraîne une minoration de la prise en compte de la spécificité des métiers et de l’expérience.C’est pourquoi le rapport du Sénat préconise de limiter strictement le recours à de tels contrats à des situations exceptionnelles. Il propose une série de mesures qui visent à rendre effectif l’accès des PME et TPE à la commande publique et à renforcer l’information des collectivités territoriales avant la conclusion d’un contrat de partenariat.
Les investisseurs peuvent être multiples : banques, assurances, fondations d’entreprise, fonds de pension, capital-risque, placements des ménages. Aux USA, les apports en capitaux sont assurés par des investisseurs tels que Bank of America, Merrill Lynch, fondation Rockefeller ou encore Goldman Sachs qui s’intéresse particulièrement au sujet. En France, la BNP Paribas entre dans quasiment tous les contrats à impact social du premier appel à projet de 2016. Par ailleurs, des assureurs, comme AG2R la Mondiale ou des fonds d'investissements s'impliquent dans ces contrats. Ce qui les attirent ? La possibilité d'ouvrir de nouveau marchés, de proposer à leur épargnants de nouveaux produits d'investissement avec des rendements qui demain pourraient s'élever à 10%, inédit ! Avec en prime, la possibilité de communiquer sur leur impact social et environnemental, de se vendre comme des acteurs de la lutte contre la pauvreté et les dérèglements écologiques. Dans un rapport publié en mars 2021, six ONG internationales rappelaient que BNP Paribas avait financé les énergies fossiles de 41 milliards de dollars en 2020. Avec cette somme, elle est la banque qui a le plus augmenté cette année là ses soutiens aux énergies fossiles au niveau international, c'est même le premier financeur au niveau européen. Enfin, l'association Attac rappelle que BNP Paribas a été impliquée dans la plupart des scandales d'évasion fiscale révélés depuis 10 ans...
Les associations deviennent avec ce dispositif des prestataires de services à moindre coût voire des produits d'investissement financier avec des rendements attractifs. Les promoteurs des contrats à impact ont une vision exclusivement « instrumentale » des associations et le terme « investissement » ne saurait, à leur yeux, avoir d’autre sens que purement financier : une opération qui permet d’accroître le capital. Pourtant, l’action associative, portée par des collectifs de citoyens, en donne un tout autre sens ; les associations s’investissent dans la vie de la cité car elles portent une vision transformatrice de la société. Leur « investissement social » consiste à considérer qu’il est nécessaire d’investir dans la capacité des personnes en adoptant des mesures pour renforcer leurs compétences et leurs capacités (éducation, services de garde d’enfants, soins de santé, formation, aide à la recherche d’emploi, insertion, etc.) pour leur permettre de participer pleinement au monde du travail et à la société. À travers cette différence, c’est la notion même d’intérêt général qui est en jeu. Les associations contribuent en ce sens à l’instauration d’un contrat social qui donne à chaque citoyen une sécurité en contrepartie de sa participation à la communauté nationale. Rompre ce lien conduit à la violence et à la désespérance civique.
Les contrats à impact axe toutes leurs actions autour de la notion de mesure d'impact social. La mesure implique que l'effet de l'action soit mesurable en terme compréhensible tant pour les acteurs de l'association que pour les financiers et les pouvoirs publics, payeurs finals. Une gageure qui engage aujourd'hui des méthodes multiples qui rejoignent également les méthodes d'évaluation appliquée aux associations, elles aussi empreinte de cette idéologique de la mesure. Ce prisme écarte et dénigre tout ce qui dans l'action associative ne pourrait pas être mesurer et compréhensible par les trois parties. Elle dépolitise également l'action associative notamment en visant la création d'un langage commun aux financiers, acteurs associatifs et tiers payeurs qui suppose un accord préalable sur l'action menée et écarte toutes actions politique hors des clous, hors des mesures...

Les défenseurs des contrats à impact soutiennent que ceux-ci permettent de financer l’innovation sociale. Cet argument a permis de contrer la critique qui voyait dans ces contrats une nouvelle approche des politiques sociales. Lors du premier appel à projet en 2016, le gouvernement réfutait toute velléité de faire de ces contrats une norme pour les politiques sociales et arguait qu'ils ne devaient servir qu'à prendre le risque de l'innovation. En réalité, les contrats à impact sont extrêmement lourd et complexes à mettre en place et ne peuvent finalement s'appliquer qu'à des projets déjà en place, portés par de grandes associations. L'objectif étant alors de leur faire "changer d'échelle" selon le terme consacré. Par ailleurs, les institutions financières choisissent leurs placements en fonction des taux de réussite avérés. Le remplacement des subventions publiques par ces contrats conduira même à une forte régression de la capacité d’innovation. En effet, ce sont les associations citoyennes qui sont à l’origine de l’innovation sociale, c’est-à-dire « l’innovation qui est nécessaire pour inventer un avenir vivable à la planète, à l’espèce humaine et à chacun, construire une société de résilience, trouver des issues aux multiples impasses où nous nous trouvons. Ce n’est pas pour nous l’innovation économique qui vise à faire de plus en plus pénétrer le marché dans toutes les sphères de la société et le plus intime de nos vies. Ces deux approches ne sont pas compatibles »
Par ailleurs, le mécanisme des contrats à impact influence les pratiques. Ainsi, pour le premier contrat anglais de Peterborough, le ministère de la Justice anglais, dans son bilan final, relève que le paiement au résultat incite à des pratiques de "cueillette de cerises", c'est dire de choix des personnes les plus à même de répondre aux objectifs du contrat tout en écartant celles qui en sont les plus éloignées.
En réalité, s'il existe bien une innovation dans ces contrats, elle réside dans le mécanisme financier qui, de fait, est une innovation qui permet aux financiers de placer de l'argent dans des programmes qui pourraient demain, selon les préconisations du rapport Cazenave sorti en 2022, leur rapporter jusqu'à 10 % de taux de retour sur investissement payé par l'argent public, une sacrée innovation !
La notion de risque doit être interrogée. Les promoteurs des contrats à impact expliquent que "tout le risque" est porté par l'investisseur privé qui ne sera pas remboursé si le programme échoue. Or, comme ce programme est vendu comme "innovant", il y aurait donc le "risque" qu'il échoue d'où également la justification aujourd'hui d'augmenter les taux d'intérêts de ces produits financiers jusqu'à 10%. Or, le risque semble extrêmement relatif dès lors que les objectifs d'impact sont essentiellement construits en lien avec ces mêmes investisseurs et que les contrats en cours montrent qu'ils s'agit le plus souvent d'objectifs de moyens (tant de personnes ont participé au programme) plutôt que d'objectifs de résultats (tant de personne ont accédé à un logement ou à un CDI...). Dans le seul contrat à impact arrivé à terme en 2021, porté par l'association Wimoov qui propose un test mobilité pour les personnes en situation de précarité qui ont des difficultés de mobilité, la cour des comptes, dans un rapport publié en février 2021, souligne que les indicateurs choisis "ne permettent pas d'apprécier l'impact social des actions mises en oeuvre". Il ajoute " il manque, en effet, des indicateurs de résultats ou des indicateurs d'impact pour mesurer l'amélioration de la mobilité ou l'employabilité des bénéficiaires, mais également les économies pour le tiers-payeur public". Les indicateurs s’intéresse au nombre de personnes ayant passé le test mobilité sur la plateforme et compte les tests qui ont permis de déclencher un accompagnement. Des données quantitatives qui ne permettent pas de voir les effets, les impacts de ces tests sur la mobilité des personnes. Par ailleurs, les indicateurs choisis, relativement simples, permettent d’assurer quoi qu’il arrive un remboursement des investissements.

Dans son rapport publié en 2014, le comité français pour l’investissement à impact social voyait dans les contrats à impact un moyen de développer l’économie sociale et solidaire (ESS) qui doit «changer d’échelle». Cette notion de changement d’échelle a été très présente en 2011 dans les États généraux de l’économie sociale et solidaire, mais elle signifiait alors la possibilité d’un développement plus important de toutes les structures d’économie sociale et solidaire, avec des finalités autres que la recherche du profit... Aujourd’hui, c’est une toute autre conception que l’on voit se dessiner, quand Sir Ronald Cohen estime que l’intervention des investisseurs est nécessaire parce que « les organismes caritatifs ne peuvent pas lever assez de fonds pour atteindre une taille critique » et que seules les institutions financières ont la taille nécessaire. Il est à noter que cette question se retrouve également au cœur de la loi sur l’ESS de juillet 2014, qui favorise les regroupements et les fusions d’associations... et que Jean-Marc Borello, président du Groupe SOS, l’un des fondateurs du Mouves (Mouvement des entrepreneurs sociaux – seul représentant des entreprises sociales à faire partie du comité) affirmait dès 2013 comme inéluctable le fait que «dans 10 ans, il y aura dix fois moins d’associations.»
Au coeur des contrats à impact, la mesure d'impact qui doit mesurer, donc, l'impact d'une action et définir par son résultat le taux de retour versé à l'investisseur privé. cette nécessité de la mesure a déclenché la formation de tout un marché d'agences spécialisées sur la mesure de l'impact social suivi bientôt de l'impact écologique et pourquoi pas demain de l'impact culturel... Cette idéologie de la mesure n'est pas nouvelle, elle imprègne depuis les années 90 le champ du social, du médico-social via les obligations d'évaluations internes, externes mais aussi les demandes des financeurs. Elle va cependant en s'accélérant. Depuis le développement de la notion de mesure d'impact dans les années 2010, le nombre de méthodes, guide de bonne pratiques sur l'évaluation de l'impact social explose. La plateforme TRASI (Tools and Resources for assessing social impact) de la fondation américaine Foundation Center en recense 150... Cette demande de plus en plus pressante engage les associations dans une culture du résultat, implique l'atteinte d'objectifs quantifiables et quantifiés, les oblige a prouver leur utilité sociale, à inscrire leur évaluation dans le cadre des contrats à impact social dans un optique financière. Pour tenter de contrer la vision strictement financière de cette notion, certaines associations tentent de construire leur propre référentiel de mesures, d'évaluation, s'engagent dans la volonté de prouver leur impact autre que financier. Il n'empêche cette nécessité de la preuve interroge la capacité des associations à s'inscrire comme contre-pouvoir voire en désobéissance, ce qui, dans l'histoire, a parfois été le seul vecteur pour faire avancer certains droits ou prise de conscience.
Le Crédit coopératif a été par la voix de son vice-président d'alors, Hugues Sibille, moteur dans l'arrivée en France des contrats à impact social. En 2014, il préside le comité français sur l'investissement à impact social qui publie le rapport français sur la question intitulé : "Comment et pourquoi favoriser des investissements à impact social ? Innover financièrement pour innover socialement" qui marquera l'entrée de cet outil en France. Interrogé alors par des sociétaires, le Crédit Coopératif a reconnu, par la voix de son président Jean-Louis Bancel, que cette question a été débattue «non par l’assemblée générale, dont ce n’est pas la prérogative légale, mais par le conseil d’administration». Celui-ci a décidé que « le Crédit Coopératif devait rechercher des solutions de financement innovantes susceptibles de contribuer au renforcement des capacités d’action du secteur associatif ». Il est cependant singulier que le projet des contrats à impact soit porté par le Crédit Coopératif, qui par le passé a représenté une autre conception des finances solidaires, et qui compte à son conseil d’administration un représentant du Mouvement Associatif (Frédérique Pfruner) et un représentant de l’UNIOPSS (Hubert Allier)... A la lecture du rapport, on entrevoit que celui-ci semble fasciné par le rôle central qu’il pourrait jouer dans la mise en place des contrats à impact. Il estime sans doute qu’il vaut mieux prendre la place que la laisser à d’autres : devant la Commission économique du Mouvement associatif, Hugues Sibille a affirmé qu’il « ne faut pas refermer le débat avant de l’avoir ouvert », et a proposé de « co-construire des SIB à la française »...Mais une fois le système adopté, le Crédit Coopératif pourra-t-il résister à Goldman Sachs et aux banques américaines ? On peut sérieusement en douter. On peut également s’interroger sur la stratégie du groupe BPCE (Banques populaires Caisse d’épargne), dont le Crédit Coopératif est désormais une filiale. C’est le groupe qui assure désormais une fonction de contrôle, en contrepartie de la garantie de sa solvabilité et du fait qu’il permet au Crédit coopératif d’avoir une meilleure notation.
L'arrivée des appels à projet, de la politique du New public management dans les institutions publiques, a entraîné un renversement du rapport des associations à l'Etat. Désormais, elles sont de moins en moins en position de défendre un projet, porter de nouveaux droits, de nouvelles pratiques mais répondent à des projets construits d'en haut, deviennent prestataires de service de la politique sociale de l'Etat. Cette situation a entraîné le regroupement de certaines associations pour pouvoir mieux peser dans un environnement associatif devenu concurrentiel. Les grands groupes associatifs ont également plus de chance de reporter des appels d'offre important. Dans cette logique de marché, les contrats à impact social représentent une nouvelle manne et pas des moindres puisque les budgets de ces contrats tournent souvent autour de 2 millions d'euros voire bien plus. Et le travail de lobbying des promoteurs des SIB est bâti sur un postulat dont l’efficacité a déjà fait ses preuves: « Il n’y a pas l’alternative ».
Comment expliquer le manque de réaction des coordinations associatives? Face à l’offensive médiatique majoritairement favorable au CIS lors de leur arrivée en France, les coordinations associatives ont adopté une attitude prudente et attentiste. Alors que leurs premières réactions étaient plutôt défavorables, elles n’ont pas pris position officiellement et se sont contentées d’organiser des séances d’explication au cours desquelles elles ont invité Hugues Sibille, l’auteur du rapport, et les autres promoteurs de SIB. En privé, plusieurs dirigeants de ces coordinations estimaient qu’on ne pouvait pas s’opposer à ce projet et qu’il fallait juste en limiter les dégâts. Si les représentants du monde associatif acceptent ces nouvelles formes de financement, ils optent de fait pour un avantage à court terme qui se paye par une perte d’identité et une perte de sens à moyen terme. C’est exactement ce qui s’est déjà passé dans d’autres secteurs de l’économie sociale, après que les mutuelles aient demandé d’être considérées comme des compagnies d’assurances et que les banques coopératives aient accepté d’être cotées en Bourse... Cela s’est traduit par la disparition de milliers de mutuelles porteuses de lien social et de démocratie interne et par une concentration sans précédent des banques pour constituer quelques institutions financières de niveau mondial.
Si les partenariats publics-privés sont particulièrement rentables pour les investisseurs et les organismes financiers (avec « retour sur investissement » à deux chiffres...) cette rentabilité n’est pas le seul mobile des promoteurs des SIB. En financiarisant l’action sociale, ils participent à la marchandisation de l’ensemble de la société et contribuent à affaiblir l’Etat, jusqu’ici garant de l’intérêt général. Ce projet permet de déposséder la puissance publique et la sphère politique de la maîtrise de la solidarité : il s’agit donc non seulement de récupérer de l’argent mais aussi de récupérer un contrôle politique. Car la pression en faveur de l'investissement à impact ne s’arrête pas au social. En France, plusieurs rapports ont été publiés pour prôner le même mouvement de libéralisation dans différents secteurs et notamment le rapport Faber-Naidoo (respectivement vice-président de Danone et président de l’ONG Alliance mondiale pour une meilleure nutrition), qui propose de financer la solidarité internationale par des «Development Impact Bonds » conçus sur le même modèle... Et du rapport Hearn, qui prône les valeurs de l’entreprenariat culturel, en tournant le dos au rôle émancipateur de la culture.
On ne peut s’empêcher de rapprocher le lobbying en faveur des SIB d’autres stratégies qui se mettent en place, au niveau mondial, pour la conquête de nouveaux marchés. En effet, dans un contexte d’accroissement des inégalités, le seule frange des nantis ne saurait assurer, seule, les perspectives de croissance... C’est pourquoi on assiste, par exemple, à la mise en place de stratégies Bottom of the Pyramid (BoP –« bas de la pyramide »), le marché des pauvres représentant 4 milliards de consommateurs potentiels délaissés par les entreprises, car ils vivent avec moins de 3 dollars par jour. Un marché d’autant plus intéressant que, bon an, mal an, le revenu des pays pauvres est tout de même en forte croissance... Le promoteurs du BoP mettent également en avant le fait que leur démarche, souvent inscrite dans une politique RSE (responsabilité sociale des entreprises) leur permet d’accéder également à de nouvelles sources de financement : des subventions et des fonds d’investissement dits socialement responsables, en plein développement...
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